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réflexion d’une vieille duchesse à propos de ces empressemens : de mon temps, on recevait quelquefois ces gens-là dans son alcôve, dans son salon jamais !

Une des étoiles de ce théâtre, Mme de Marchais[1], qui brilla aussi dans la troupe de Mme de Pompadour, mérite une mention spéciale. Toute petite et mignonne, beaucoup de physionomie, une taille et un pied de poupée avec une tête énorme et de magnifiques cheveux cendrés, aucun de ses traits, observe Marmontel, n’était celui que le pinceau aurait choisi, mais tous ensemble offraient un agrément que le pinceau n’aurait pu rendre. De l’entregent, un esprit subtil et nuancé, l’intelligence très cultivée, un penchant décidé vers les problèmes économiques dont elle savait parler avec grâce, tenant tête aux savans et catéchisant sans pédanterie les ignorans, l’art du silence, le mot propre à la chose, au moment, à la personne, tant de dons lui servirent à instituer un salon où grands seigneurs et femmes de qualité ne fréquentaient pas autant qu’elle eût voulu, où dominaient plutôt avec Quesnay les économistes et gens de lettres : c’est le salon du produit net. Lisant beaucoup, elle était la première à railler son goût afin de ne pas laisser aux autres le temps de se moquer : « Je lis tout ce qui paraît, bon ou mauvais, comme cet homme qui disait : que m’importe que je m’ennuie pourvu que je m’amuse ? » Telle qu’elle est, elle paraît délicieuse par elle-même, et belle de la beauté des autres : car il y a des femmes qui savent tirer parti des avantages physiques de leurs amies, de même qu’il y a des beautés d’intelligence, des beautés d’âme, et une beauté sociale faite de tous les agrémens que procurent une table bien servie, d’élégantes toilettes, une position élevée, des équipages de prix. Ajoutez-y le besoin de plaire, de charmer, une obligeance un peu voulue peut-être, mais effective, une conversation caressante où n’éclatent jamais ces boutades familières à Mme du Deffand, de Chaulnes, de Luxembourg ; jamais par exemple elle n’eût dit d’une femme dont la crainte de se trouver devant elle paralysait l’esprit : Cette crainte-là est la conscience des sots ; elle est bien plutôt de l’école de Mmes de Tencin et Geoffrin. Beaucoup de personnes subirent l’attrait de cette volonté de séduction : Mme Necker, qui entretint avec elle un tendre commerce d’amitié, la regardait comme une de ces fées enchanteresses qui réunissent à la fois tous les dons de la nature et de la magie. Dans cette prose un peu guindée qui n’exclut pas la finesse, que Voltaire écrasa d’un mot : le galithomas, Thomas

  1. Mémoires de Mme Campan, de Marmontel. — D’Haussonville, le Salon de Mme Necker, t. Ier. — Garat, Mémoires historiques sur Suard, t. Ier. — Mémoires de M"" Necker, t. II. — Essai sur les femmes, par Thomas.