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jadis, qu’il célèbre ses traits de bienfaisance, ses vertus sociales ; une femme est-elle l’héroïne de la fête, qu’il vante les charmes de son esprit, ses talens, plutôt que sa beauté. C’est ainsi que Laujon écrivit son Amoureux de quinze ans, composé pour Chantilly, en l’honneur du mariage du duc de Bourbon avec Mademoiselle, fille du duc d’Orléans ; celle-ci avait six ans de plus que son très jeune époux ; ce gentil et frêle ouvrage réussit au théâtre, parce qu’il était sans prétention, bien joué, et rempli de vaudevilles, qui, observe Grimm, tournent toujours la tête au parterre. C’est ainsi qu’il donna le Couvent, la première comédie sans hommes qui ait paru au théâtre, où, prenant exemple sur Gresset, il peint avec agrément les graves riens, les mystiques vétilles de la vie religieuse (il est aussi des modes pour le voile). Elle fut intercalée dans une fête de convalescence offerte à Madame Elisabeth par ses compagnes et amies qui s’improvisèrent garde-malades pendant son inoculation, actrices après la guérison. Avec une fidélité scrupuleuse, Laujon rappelle les passages successifs de la crainte à l’espérance, de la sécurité à la joie ; il met en scène la première promenade de la princesse, sa visite à la maison des sœurs de charité ; on le présente lui-même, avec une escorte de villageois, sous le titre de vieux concierge, il la régale de chansons rustiques, raconte en vers sa maladie, lit la lettre d’un amoureux anonyme de Madame Elisabeth, qui n’est autre que Caffé, son cheval favori. Comme on voit, cet aimable homme n’est jamais pris sans vert, et sa tête fait l’effet d’un bazar universel de plaisirs mondains, où les articles à vingt-neuf sous occupent presque tous les rayons.

Dès l’enfance, il a la vocation du bonheur et de la poésie : au collège Louis-le-Grand, il devient pour la vie l’ami de Turgot, surnommé dès lors le jeune penseur ; à peine adolescent, déjà passionné de spectacles, de chansons, il obtient ses entrées à l’Opéra-Comique, compose une parodie de Thésée, qui, grâce à la collaboration de Favart, a cinquante-deux représentations sur le Théâtre de la Foire. Son père, qui le destine au barreau, lui inflige mainte semonce au lieu de complimens, lorsqu’il apprend que, prôné par Duclos et Crébillon chez MM. d’Argental, Hénault et d’Ayen, son héritier a été présenté à Mme de Pompadour par Mme de Villemur. Cependant la marquise ayant parlé de Laujon à Clermont, celui-ci manifeste le désir de l’entendre ; mais, devant lui, Laujon se trouble au point de ne pouvoir articuler une parole. Sachant par lui-même ce que la timidité ôte de ressources, le prince s’empresse de le réconforter : « Il faut, dit-il gracieusement, lui laisser le temps de rasseoir ses sens. Grave auteur, quand nous aurons dîné ensemble, vous serez moins ému. » Au dessert, Laujon, un peu ragaillardi, chanta quelques chansons fort applaudies, et lorsque