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les combinaisons, les projets, peut-être les espérances de la monarchie, et tout d’abord M. Decazes lui-même. L’assassinat du duc de Berry poignardé par un fanatique inconnu changeait subitement la face des choses et créait une situation nouvelle, sinistre, où tout le monde se sentait frappé.

Jusque-là M. Decazes, en dépit de tous les assauts, avait tenu ferme, adossé au trône, couvert de la protection affectueuse du roi. Il tenait ferme depuis quatre ans, faisant de l’équilibre entre les partis une politique, opposant tour à tour les libéraux aux royalistes, les royalistes aux libéraux, représentant, après tout, une idée juste, l’idée de la réconciliation de la société nouvelle et de la royauté. L’élection d’un régicide l’avait atteint dans son crédit sans l’ébranler encore. L’assassinat du duc de Berry le livrait, affaibli et désarmé, à l’exaspération des partis, à la fureur des salons. Ce meurtre cruel d’un prince sur qui reposaient les dernières espérances de la monarchie provoquait dans le monde royaliste l’explosion de tous les ressentimens et de toutes les haines contre le ministre qui laissait la dynastie sans défense ; il suscitait surtout aux Tuileries même, autour de Louis XVIII, la conjuration pathétique des émotions de famille, des larmes, de la pitié, des adjurations de Monsieur, père de la victime, de la duchesse d’Angoulême, de la duchesse de Berry, qui entouraient le roi et le suppliaient de les préserver, de sacrifier le présomptueux favori à la sûreté du trône. Drame étrange qui se déroulait pendant ces quelques jours de février 1820 où se heurtaient toutes les passions, où se débattaient peut-être l’avenir de la monarchie et, dans tous les cas, le sort d’une politique, du premier ministre chargé et accablé de toutes les responsabilités !


V

« Qui lui succédera ? Que mettra-t-on à la place de ce qui est ? C’est ce que j’ignore, » écrivait M. de Villèle dans ces heures d’anxiété où rien n’était encore décidé. M. de Villèle ne le savait pas, nul ne le savait plus que lui et ne pouvait encore voir clair dans ce lugubre imbroglio.

Au premier instant, il est vrai, M. Decazes, confiant dans la fortune, avait paru ne pas se croire menacé, et, préoccupé uniquement du péril public, il avait cru tenir tête à l’orage en proposant quelques mesures d’exception : suspension de la liberté individuelle, censure des journaux, sans parler de la loi des élections qui viendrait plus tard. Bref, il demandait une dictature de circonstance ; mais il avait trop présumé de son crédit et ne comptait