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auquel il est tenu vis-à-vis le chef de l’Islam. Tous deux cependant, Guillaume d’Orange, aussi bien qu’Ali-Pacha, — ont mis sans scrupule au service d’un peuple insurgé l’influence qu’ils possédaient en vertu de la délégation trop confiante du souverain. La trahison a quelquefois de nobles visées ; elle n’en est pas moins la trahison. On conçoit à la rigueur un gouvernement sans ducs d’Albe ; il n’en est pas qui puisse subsister, si l’on admet qu’un Ali-Pacha, un prince d’Orange quelconque, ne commet pas un crime le jour où, au nom d’une douteuse justice, masque trop facile d’une coupable ambition, il ose prendre parti contre le maître dont il accepta devant Dieu et devant les hommes d’être à la fois l’humble serviteur et le majestueux représentant. La notion du devoir est toujours claire pour les âmes simples ; elle ne devient obscure que pour les esprits compliqués.

Ce qu’on peut reprocher au sultan Mahmoud et à Philippe II, ce ne sont pas leurs soupçons ; c’est bien plutôt leur hésitation à étouffer dans l’œuf la sédition qui couve. A quoi bon des reproches, quand les reproches ne doivent être suivis d’aucun acte ? C’est une faiblesse de plus que de révéler hors de propos sa méfiance. « Que parlez-vous du vœu des États ? » crie à Guillaume d’Orange la voix soudainement irritée de Philippe II, « ce ne sont pas les États qui m’inquiètent ; c’est vous, c’est vous, c’est vous ! » Guillaume d’Orange est averti ; croyez-vous qu’il soit corrigé ?

Dans les grands événemens de ce monde, n’exagérez pas la part de la fatalité. A tout progrès matériel, — invention de l’imprimerie, de la poudre à canon, de la boussole, entrée en scène de la vapeur et de l’électricité, — correspond sans doute une transformation sociale inévitable ; la force latente n’en a pas moins besoin d’une main qui se charge de lui donner issue. A côté du travail mystérieux des atomes, cherchez l’homme que ce bouillonnement souterrain suscite.

Que d’élémens divers concourent à une révolution ! Des hautes régions où l’avenir s’élabore, il faut parfois, pour pressentir l’éclosion des événemens qui vont briser leur coquille, se résigner à descendre sur un terrain plus infime. La monarchie française a succombé, en 1789, sous une dette de 600 millions ; l’appauvrissement graduel de l’Espagne, la prospérité croissante des Pays-Bas, enrichis par la pêche et par le commerce, expliquent peut-être mieux que des considérations transcendantes les oscillations de la fortune passant à tout propos, pendant plus d’un demi-siècle, du camp espagnol au camp néerlandais. Le plus grand général ne saurait découvrir de combinaisons qui le dispensent de payer ses troupes. La marine, dans ce long débat, de 1568 à 1648, ne fut pas seulement pour les provinces révoltées un admirable