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toute manifestation irrédentiste. Cette précaution était nécessaire pour affirmer le sens pacifique de l’agitation et empêcher ainsi qu’elle put être accusée d’intentions belliqueuses contre l’Autriche. En même temps, M. Cavallotti déposait sur les bureaux de la chambre une demande d’interpellation sur les bruits de renouvellement de la triple alliance.

Le danger de ces résolutions fut vivement senti dans les sphères de la triple alliance. D’où que vint la pression, elle s’exerça d’une manière assez intense pour que le ministère levât définitivement le masque : il interdit toute réunion publique ayant pour objet de protester contre le renouvellement de la triple alliance.

Sur quoi, M. Colajanni à son tour demanda à interpeller le ministre de l’intérieur. M. di Rudini avait accepté l’interpellation Cavallotti en déclarant vouloir y répondre sans retard. M. Nicotera en fit de même pour celle de M. Colajanni. Les deux interpellations furent inscrites à l’ordre du jour de la séance du samedi 27 juin.

L’empressement du chef du cabinet à discuter une question aussi délicate pouvait paraître suspect. L’honorable chef de l’extrême gauche crut comprendre que, puisque le gouvernement avait tant de hâte de parler, c’est que son parti était décidément pris ; qu’il se proposait de provoquer la présentation d’un ordre du jour exprimant en termes généraux la confiance de la chambre sur sa politique extérieure, et nécessairement destiné à être voté à une assez grande majorité ; que, ce vote obtenu, il se considérerait comme ayant les mains libres pour signer le renouvellement de la triple alliance, en s’autorisant de l’assentiment des représentans de la nation. M. Cavallotti dressa très habilement son plan en conséquence. Ce plan consistait à retirer sa propre interpellation et à laisser ainsi discuter à sa place l’interpellation de M. Colajanni. Cette seconde interpellation, qui concernait la politique intérieure, suivait immédiatement celle de M. Cavallotti sur l’ordre du jour de la chambre. Elle risquait d’enlever un vote de blâme, si les droites, persistant dans leurs passions de parti, votaient avec l’opposition en vue de mettre M. Nicotera en échec. En tout cas, elle devait sûrement réunir un nombre de voix assez considérable pour réduire à un chiffre infime la majorité qui aurait voté l’ordre du jour de confiance. En effet, les cent députés de gauche, environ, qui se groupent autour de M. Zanardelli et de M. Crispi, ne pouvaient pas voter dans le sens de l’interpellation Cavallotti ; c’eût été voter contre une politique extérieure dont ces deux hommes d’État sont trop solidaires eux-mêmes. Mais autrement en était-il de la politique intérieure visée par M. Colajanni. Ici il s’agissait du droit de réunion, que la gauche a défendu de tout temps ; il s’agissait en outre de M. Nicotera, que ce groupe combat avec acharnement.