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En conséquence, le président, arguant de la similitude du sujet, substitue cette interpellation à celle de M. Cavallotti, et la parole est donnée à M. Brin.

L’extrême gauche s’oppose à cette tentative d’escamotage parlementaire. Elle a pour elle le droit, c’est-à-dire le règlement et la jurisprudence invariable de la chambre. L’énergie de ses protestations met dans l’impossibilité de parler le malavisé M. Brin, à qui M. Imbriani, avec sa voix de tonnerre, lance un grand nombre de fois cette épithète peu enviable : « Compère ! Compère ! .. »

Un tumulte effroyable s’ensuit, pendant lequel ni président, ni ministres ne peuvent se faire entendre, pas plus que l’interpellant qu’ils avaient si malencontreusement mis dans leur jeu. De guerre lasse, le président se couvre. Une heure de suspension de séance n’a pas rendu à la chambre le calme nécessaire à la reprise de la discussion. À peine la sonnette présidentielle s’agite-t-elle pour annoncer la reprise de la délibération, que le même tumulte recommence, plus bruyant, plus violent que la première fois. Impuissant à dominer l’orage que son évidente partialité a soulevé, le président se couvre de nouveau, levant définitivement la séance, effaré à tel point, qu’il ne songe pas même à proposer la fixation de l’ordre du jour du lendemain.

C’était une première victoire des adversaires de la triple alliance. Malgré la complaisance du président de la chambre, le gouvernement avait été impuissant à faire engager la discussion pendant laquelle il devait faire les déclarations qu’il préméditait et obtenir le blanc-seing parlementaire qu’il jugeait nécessaire à ses projets. En vain, M. Biancheri avait tenté de tourner la difficulté en proposant de soumettre au vote de la chambre la question de la mise en discussion de l’interpellation Brin. M. Cavallotti, avec une haute raison, s’y était opposé. « Le règlement, dit-il, est supérieur à la volonté de la chambre. C’est le bouclier qui protège les minorités contre les coups de majorité. » Et « le coup de majorité » prémédité par la présidence n’avait pu s’effectuer. Et, pendant toute une séance, la majorité avait été mise dans l’impossibilité de délibérer, par l’énergie des députés de la minorité, luttant pour leur droit, pour le droit, un contre dix !

La même impuissance du gouvernement, du président de la chambre et de la majorité qui voulait se prêter docilement aux vues de la politique ministérielle, éclata à la séance du lendemain, dimanche. La même énergie indomptable, victorieuse y fut déployée par l’opposition. Le président voulut vainement donner la parole à M. Brin, qui, dominé par le tumulte, en fut réduit à faire un simulacre de développement de son interpellation. De même on fut-il pour le président du conseil, qui, aux dépens de