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que là l’influence française aurait pu parvenir à troubler les idées des hommes d’État italiens et à leur faire voir la politique anglaise sous un jour inexact.

Il m’est facile de produire, à titre de contre-épreuve, des notions que je trouve dans un livre de Mme Jessie-White Mario. Le témoignage de la veuve d’Alberto Mario, Anglaise de naissance, Italienne de cœur, ne saurait être récusé ; son mari, grand écrivain autant que grand patriote, était républicain et fédéraliste, adversaire déterminé par conséquent des Piémontais, monarchistes et unitaires, et surtout de la politique napoléonienne ; très hostile personnellement à Cavour, dont, dans son entourage, on germanisait le nom en l’orthographiant Kavour[1], comme pour dire qu’il fallait le détester autant qu’un tedesco.

Mme White Mario, pour d’autres raisons aussi, doit paraître non suspecte. D’une manière générale, ses amitiés se trouvaient confinées dans le cercle des hommes politiques italiens les plus hostiles à la France, de ceux-là qui, comme M. Crispi, signaient, en 1859, la protestation demeurée célèbre contre la participation de l’armée française à la guerre de délivrance de l’Italie. Aujourd’hui encore elle conserve intactes ses préférences pour l’ex-premier ministre, dont elle exalte avec enthousiasme les mérites dans la Riforma[2], aussitôt après l’apparition de chacun des articles qu’il fait paraître dans la Contemporary Review. Je ne voudrais pas cependant que l’on se méprît sur mon véritable sentiment à l’égard de cette dame qui ne fut pas moins vaillante à la guerre de coups de fusil qu’elle ne l’est à la guerre de coups de plume. Je me hâte, au contraire, de constater qu’elle a droit à la reconnaissance des cœurs français pour avoir suivi, dans la guerre de France contre la Prusse, le glorieux condottiere, dont la France et l’Italie s’apprêtent à glorifier la mémoire devant le splendide monument que le sculpteur Gustave Déloye lui a dressé à Nice, et dans lequel son habile ciseau a rendu d’une manière si heureuse cette sublime inspiration : les deux sœurs latines protégeant et enveloppant de leurs deux drapeaux entremêlés le berceau d’un enfant qui fut l’apôtre armé de la latinité, Giuseppe Garibaldi.

Or, pour revenir à Mme White Mario, on rencontre dans son livre sur Agostino Bertani plus d’une confirmation de ce qu’avait de juste l’irritation de Cavour à l’égard de l’Angleterre. Pour ne pas multiplier mes citations, je me bornerai à extraire quelques paragraphes significatifs d’une lettre écrite à Agostino Bertani par

  1. Voir, dans Agostino Bertani e i suoi tempi, les lettres de l’ami le plus intime de Mario, le célèbre tragédien Gustavo Modena, qui, lorsqu’il écrivait de Turin, les datait de La Meccafetida, « La Mecque fétide. »
  2. Voir la Riforma du 19 juin et du 10 août 1891.