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l’Autriche seule. » Devant de tels moyens d’invasion, il semble que l’Autriche devrait avoir absolument besoin d’être secourue par ses alliés. Mais l’Allemagne, dont les forces aujourd’hui sont inférieures à celles de la France, n’en pourrait distraire beaucoup pour prêter aide à l’Autriche. Cette aide indispensable, serait-ce l’Italie qui devrait la lui apporter ? Au premier abord, cela paraît impossible, moralement, au moins, autant que matériellement. Pourtant, soit. Mais, en ce cas, de quelle valeur deviendrait la diversion italienne nécessaire à l’Allemagne du côté de la France ?

On voit de quels graves et difficiles problèmes se trouve hérissée la situation que le renouvellement de la triple alliance a créée, en déterminant la conclusion d’un concert militaire franco-russe, dont personne aujourd’hui ne met plus en doute l’existence. Et l’on conçoit difficilement comment l’Italie a pu s’y déterminer, en admettant même, ce qui est loin d’être improbable, qu’une pression anglaise se soit, pour la convaincre, ajoutée à la pression allemande. Si, en effet, nous connaissons, par les paroles du comte de Caprivi, l’intérêt allemand qui s’attache à la participation de l’Italie à l’alliance des puissances germaniques, il n’est nullement difficile de deviner, d’autre part, l’intérêt anglais qui peut s’attacher à ce que cette puissance soit reliée à un faisceau politique et militaire se trouvant nécessairement placé en état d’hostilité avec la France et la Russie. Un écrivain politique anglais de haute valeur, que j’ai déjà eu occasion de citer, sir Charles Dilke, va nous le dire avec l’autorité que lui donne l’expérience acquise dans les conseils du gouvernement de son pays, dont il a fait partie. « Il serait, écrit-il, aussi difficile à l’Angleterre de prétendre, avec le seul secours de sa flotte, sans l’alliance de l’Italie, conserver contre les Français la suprématie absolue dans la Méditerranée et la Mer-Rouge, que de vouloir employer son armée à la défense de la Belgique ou de l’empire ottoman[1]. » Et un peu plus loin, il est plus explicite encore. Après avoir fait ce grave aveu que, si l’Angleterre devait défendre l’Egypte contre la France, elle devrait « renoncer à toute opération aux Indes, » il revient sur la question avec ce correctif : « La route du Cap serait la seule sûre, en cas de guerre avec la France, l’Italie restant neutre. »

L’Italie devait donc renoncer aux avantages si palpables d’une position de neutralité, non pas pour obtenir les secours de l’Angleterre au cas, d’ailleurs irréalisable, d’une agression dont la France la menacerait, mais uniquement pour se mettre en situation de porter elle-même secours à l’Angleterre au cas où cette

  1. L’Europe en 1887, p. 302.