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de parti-pris ; qu’il se soit déterminé avant même de se trouver aux prises avec les difficultés que le retrait de l’Italie de la triple alliance pouvait pratiquement lui présenter. Il faudrait supposer, en ce cas, qu’il aurait accepté le pouvoir avec la pensée de commencer par jouer une comédie indigne de son caractère et indigne également du caractère de ses collègues appelés à s’en rendre solidaires.

Pourtant, M. di Rudini, avec l’assentiment ou non de ses collègues, a renouvelé les engagemens qui tenaient l’Italie dans la triple alliance ; il les a renouvelés, après avoir laissé croire, soit par son attitude et celle des autres membres de son cabinet, soit par l’attitude des journaux considérés comme étant les organes de sa véritable pensée, qu’il était disposé à ne pas la renouveler. Quels ont donc pu être les mobiles qui ont finalement déterminé le cabinet qu’il préside ?

L’explication la plus plausible qui en ait été donnée paraît être celle-ci : il n’était pas facile de changer une ligne de politique extérieure, qui avait acquis la puissance d’une habitude, et vers laquelle tous les services publics du royaume s’étaient accoutumés à faire converger leur mise en mouvement ; la couronne elle-même, ainsi que je viens de le dire, pouvait être portée à considérer la continuation de cette habitude comme une sorte de devoir intéressant sa dignité. Les cours alliées, d’autre part, luttaient de toute leur influence contre les hésitations du cabinet ; leurs instances augmentaient d’intensité à mesure que l’opinion publique offrait des symptômes pouvant, faire craindre que sa pression ne devînt irrésistible. Enfin, l’Angleterre, émue par les probabilités d’un accord franco-russe, aurait vaincu toutes ses résistances par sa décisive intervention.

Ainsi les ministres du roi Humbert se seraient résignés au renouvellement du traité. Mais, — du moins autant qu’on peut en déduire des confidences recueillies dans leur entourage intime, — avec le ferme propos : 1° de faire que l’Italie soit dans la triple alliance une sorte de poids mort faisant obstacle à tout mouvement vers la guerre, d’une manière générale ; 2° de veiller, en particulier, au casus fœderis, de façon à rendre impossible toute éventualité de guerre entre l’Italie et la France.

Une telle explication ne manque pas de vraisemblance. On peut même ajouter qu’elle est très probablement la seule vraie, vu les conditions financières de l’Italie, vu l’état encore imparfait de son outillage militaire, vu les tendances de l’opinion publique, vu enfin le caractère personnel des membres du cabinet et la sincérité des sympathies que quelques-uns d’entre eux professent pour la France.