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tique intérieure. On a dû tout recommencer, tout reprendre : la reconstitution de l’armée elle-même, par un recrutement nouveau, les mille services adaptés à un état militaire si étrangement agrandi, le système de mobilisation, l’armement, les règlemens, l’instruction, le classement des forces nationales, l’organisation d’un commandement supérieur toujours prêt à l’action. On a eu tout à faire, et si on n’a pas tout fait, on s’est du moins dévoué à cette œuvre de défense nationale avec le concours des chefs militaires les plus éminens, sans distinction d’opinions, sans trop de contestations de la part des chambres. Il restait à faire l’expérience de ce puissant organisme dans des proportions assez larges, assez sérieuses pour décider la question, pour laisser entrevoir ce qui est désormais acquis, ce qui peut manquer. Eh bien, l’épreuve est faite : c’est l’intérêt supérieur de ces manœuvres de l’est. Le résultat est à travers tout la révélation de l’armée nouvelle. Pour la première fois, plus de 100,000 hommes, rassemblés sans confusion, ont été appelés à passer par toutes les phases de mobilisation, de marches, de déploiement, sous les yeux de celui qui doit les commander et de son premier lieutenant, M. le général de Miribel, le major général de nos armées. M. le président du conseil, ministre de la guerre, dans un repas où il a réuni tous les officiers généraux à Vendeuvre, a pu dire sans jactance : « L’expérience qui se poursuit a répondu à tous les doutes ; » elle a prouvé que chefs et soldats étaient les dignes gardiens de la puissance française reconstituée. Et ce qui ajoute encore à la signification, à l’éclat de cette expérience, c’est qu’elle s’est poursuivie au milieu des sympathies ardentes des populations de ces contrées, réchauffées à ces beaux spectacles militaires, rassurées par cette résurrection d’une armée, image vivante de la France !

Puisque tout aujourd’hui est aux affaires militaires, à l’organisation des armées, aux expériences, aux manœuvres, et que ce vaste travail d’armement universel est la suite trop évidente des événemens de 1870-1871, tout ce qui touche à cette terrible époque et aux conditions nouvelles de la guerre a un inépuisable intérêt. Le témoignage d’un homme qui a eu le plus grand rôle dans la guerre, qui a été une des premières autorités militaires, est certes de ceux qui restent toujours instructifs. Les Mémoires de M. de Moltke entre tous étaient faits pour éveiller d’avance la curiosité ! Qu’ils dussent être un document historique ou un document militaire, c’était toujours la pensée, le dernier mot du chef d’armée qui, depuis Napoléon, a manié les plus grandes masses, conduit les plus vastes opérations et décidé dans sa sphère la plus sérieuse crise de l’Europe en ce siècle. On ne pouvait évidemment s’attendre à des confidences intimes, à des échappées familières, à des saillies de génie comme M. de Bismarck en aura peut-être dans ses mémoires, s’il les écrit, comme il en avait dans ces conversations