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plus délicate question était toujours dans les « ultras » qui réclamaient leur participation aux bénéfices du pouvoir et qui se taisaient représenter dans leurs âpres réclamations par M. de Chateaubriand, appelé lui-même à l’ambassade de Londres à la place de M. Decazes, désormais mis hors de cause. M. de Chateaubriand a raconté les choses un peu à sa manière, en homme d’imagination et de fantaisie, avec la désinvolture du génie inconstant et oublieux. Il croit avoir disposé de tout et n’avoir touché aux grandeurs que pour les dédaigner. Il avait alors, à ce qu’il semble, un rôle plus modeste auprès de M. de Villèle, et on pourrait ici saisir dans leur obscure origine des scissions destinées à retentir dans le monde: on peut prendre sur le fait des relations qui devaient devenir orageuses, mais qui pour le moment n’avaient rien que de simple et de prosaïque.

Au fond, sous des apparences de désintéressement, M. de Chateaubriand avait une ambition qui touchait à tout et ne se fixait à rien. Il avait eu l’air de se faire prier pour accepter une mission qu’il brûlait d’obtenir, qu’il se promettait même d’étendre. En attendant, tout en se prélassant dans cette ambassade qui avait comblé ses vœux et qu’il rêvait déjà de quitter, il se chargeait des affaires de tous les cliens de l’ultra-royalisme auprès de M. de Villèle, de qui il attendait tout. Il se faisait même parfois, avec une sorte de naïveté, le patron de singulières prétentions. « Lisez ceci avec attention, écrivait-il à M. de Villèle, et répondez-moi un mot. La Bourdonnaye est venu chez moi ce soir. Il veut définitivement savoir si l’on est ce qu’il appelle ami ou ennemi... » M. de La Bourdonnaye demandait tout simplement la pairie pour son fils, et pour lui, à défaut de l’ambassade de Vienne, la légation de La Haye. « À ces conditions, » il promettait la paix au ministère! M. de Chateaubriand trouvait cela fort raisonnable, et, comme on hésitait, il reprenait : « La Bourdonnaye est revenu... Il est outré qu’on ne veuille pas la paix à des conditions si modérées... » Il y revenait tous les matins, sollicitant sans cesse pour ses protégés. Le pauvre grand homme ne s’oubliait pas lui-même. « Croyez-moi, écrivait-il bientôt de Londres à M. de Villèle, placez mes cinq ou six royalistes, de Vaux, Castelbajac, Donnadieu, Canuel, Laborie, Agier, Delalot, faites rendre le ministère d’État à Vitrolles; arrangez La Bourdonnaye, si vous pouvez, après cela l’avenir est à vous !.. Quand vous aurez besoin de moi, vous me rappellerez; en attendant, n’oubliez pas le congrès, s’il a lieu... » Il demandait sa place au congrès, — on commençait à parler du prochain congrès de Vérone, — il demandait aussi le cordon bleu, qui lui donnerait un bel air dans une grande cour entre tous les ambassadeurs chamarrés. Puis, en s’échauffant, il poursuivait : « Je crois, mon cher ami,