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par des considérations plus hautes que, si vous voulez un jour vous servir de moi, il faut que vous me placiez sur un grand théâtre, afin qu’ayant négocié avec les rois, il ne reste plus aucune objection ni aucun rival à m’opposer. J’irai passer trois mois en Italie et je reviendrai cent fois plus fort à mon poste de Londres. Je ne vous demande point du tout de rester à Paris. Je crois qu’il est plus utile que je suive quelque temps ma carrière. Je veux marcher avec vous et arriver avec le temps. Je vous suis et vous serai un bon appui. A votre tour, appuyez-moi et secondez-moi dans un projet parfaitement raisonnable. Je réussirai si vous le voulez... Montrez cette lettre, si vous le jugez à propos, à votre ami Corbière et mettez-le dans mon intérêt ; vous pouvez, étant unis, emporter facilement mon affaire au conseil. Enfin, vous m’avez promis le congrès et je compte sur votre parole[1]... » Ce n’était pas sans péril, il faut l’avouer, qu’on pouvait s’allier à un si brillant complice, qui, en demandant pour les autres, songeait encore plus à sa propre fortune.

« Je suis tout à Villèle, disait-il négligemment au duc de Broglie, à Londres, au début de son ambassade, — qu’il fasse de moi ce qu’il voudra! » M. de Villèle, quoique sans illusion, voulait bien faire à M. de Chateaubriand la place due à son génie et dérober aux ultras leur plus illustre chef. Il se prêtait à ses rêves de congrès, si congrès il y avait, et n’était pas même éloigné de lui ménager une entrée au ministère, si l’occasion s’en présentait. Il tenait à s’attacher le plus brillant des hommes. Il refusait de céder aux prétentions de quelques-uns des cliens de M. de Chateaubriand. Il avait été surtout révolté des exigences de M. de La Bourdonnaye et du singulier traité de paix qu’on lui avait proposé. Il n’ignorait pas qu’il s’exposait à des inimitiés et à des colères qu’il avait plus d’une fois rencontrées dans l’opposition, qu’il rencontrerait encore dans le gouvernement ; il les bravait avec une tranquille ténacité. Il a écrit lui-même : « Il faut avoir vu jusqu’où allaient les prétentions qui se manifestèrent à cette époque pour s’expliquer la violence de certains discours dont la tribune ne tarda pas à retentir, pour comprendre la situation qu’auraient faite au roi et au pays les nouveaux ministres s’ils avaient eu la faiblesse de faire céder leur devoir au maintien à tout prix de l’union avec ces prétendus royalistes. Le ministère adopta une marche plus sûre et plus honorable. Il ne prononça aucune exclusion,

  1. Ces lettres sont reproduites au tome III des Mémoires et Correspondance de M. de Villèle. Elles ne sont pas, bien entendu, dans les Mémoires de Chateaubriand. On a les deux points de vue, les deux natures d’hommes. On peut aussi rapprocher ces protestations de dévoûment, feintes ou sincères, des fureurs d’hostilités qui devaient succéder à cette lune de miel.