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ne permit aucune réaction intéressée, et conserva au roi et au pays tous les serviteurs d’opinions diverses qui pouvaient leur être utiles... » C’était tout l’homme!

Il se décidait, il agissait en premier ministre sans l’être encore. Il avait la réalité et même les responsabilités du pouvoir, de la prééminence dans le conseil, sans en avoir d’abord les prérogatives officielles. Ce n’est qu’après quelques mois, en plein congrès de Vérone, que le roi l’élevait à la présidence du conseil et lui donnait à lui comme à M. Corbière, comme à M. de Peyronnet, le titre de comte en lui disant : « Allons, allons, vous savez bien que ce n’est pas pour vous que je l’ai fait. » Ce que Louis XVIII avait fait effectivement, ce n’était pas uniquement pour accorder une faveur banale, une satisfaction de vanité ou d’ambition à un serviteur habile; c’était pour mettre l’apparence d’accord avec la réalité, pour relever son premier ministre par un acte éclatant de confiance et de bonne grâce. C’était comme une investiture nouvelle donnée à un ministère dont M. de Villèle était déjà et allait être pour des années le vrai chef, disposant de tout dans le gouvernement, imprimant le sceau de son originalité et de son esprit à la politique extérieure comme à la politique intérieure : heureux dans la première partie de son règne ministériel, moins heureux dans la seconde partie. C’est après tout un des plus beaux momens de la Restauration.


II.

Assurément ni M. de Villèle ni M. Corbière n’étaient des hommes de grande représentation dans un régime dont les vieux et les nouveaux titres nobiliaires semblaient être la décoration naturelle. Ils représentaient plutôt, ils ne cessaient de représenter dans le gouvernement un royalisme à demi bourgeois, rural ou provincial, avisé, éclairé, judicieux. M. de Villèle avait une vraie simplicité de mœurs, et aussi peu de goût pour les fastes de la vie que pour les aventures de la politique. Bien qu’il eût été d’abord, à ses débuts, peu favorable à un régime de parlement comme en Angleterre, il s’y était accoutumé et même attaché ; il y voyait la loi du pays, une force pour le gouvernement, la plus sérieuse garantie pour la monarchie ; il en maniait les ressorts en maître. Bien qu’il fût l’allié des partis aristocratiques et qu’il se crût obligé d’avoir des ménagemens pour eux, il n’avait ni leurs vanités, ni leurs préjugés, ni leurs passions, et il se réservait de leur résister. Bien qu’arrivé avec son parti, il n’aurait pas voulu être un ministre de parti. Appuyé par une chambre qu’il croyait