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avec les partisans les plus fougueux d’une intervention, et il avait eu même à modérer l’ardeur de ses sympathies pour les Espagnols qui avaient déjà levé le drapeau de l’insurrection royaliste au-delà des Pyrénées sous le nom « d’armée de la foi. » Aussi avait-il eu le soin de limiter les pouvoirs du premier plénipotentiaire de France par des instructions précises et minutieuses. Il avait pris ou il croyait avoir pris une précaution plus efficace en comblant les vœux de M. de Chateaubriand et en l’envoyant avec M. de La Ferronnays, avec M. de Caraman à Vérone. Il se flattait d’avoir mis auprès de M. de Montmorency un coopérateur fait pour le contenir, pour être une sorte de brillant contrepoids. La combinaison semblait habile. Restait seulement à savoir dans quelles dispositions M. de Chateaubriand lui-même allait à Vérone. M. de Chateaubriand, avec son imagination puissante et inassouvie, avait déjà d’autres ambitions. Il ne s’occupait guère de gêner M. de Montmorency, dont au fond il partageait les ardentes impatiences ; il le laissait s’engager de plus en plus avec la sainte-alliance. D’un autre côté, dans ses correspondances intimes, il affectait de rester toujours fidèle aux vues modératrices, temporisatrices du président du conseil, et pendant ce temps il mettait tout son art à s’accréditer par les séductions dans le monde royal et ministériel de Vérone. Il était connu jusque-là comme l’écrivain au nom retentissant, comme le polémiste chevaleresque du royalisme : il s’étudiait à paraître l’homme d’État de la monarchie, à capter les faveurs de l’Europe, à se préparer un rôle. Il réussissait peut-être assez peu avec M. de Metternich; il n’avait pas tardé à gagner l’empereur Alexandre en flattant cette âme généreuse et un peu vaine, dans ses illusions et ses goûts de prépotence, dans ses ardeurs nouvelles contre tout ce qui était révolutionnaire. Il faisait de la politique pour son compte.

Qu’arrivait-il alors ! M. de Montmorency, pendant son séjour à Vérone, avant de revenir à Paris, avait réussi dans une partie de sa mission. Il avait obtenu un traité secret par lequel les cabinets de la sainte-alliance, en laissant à la France sa liberté dans les affaires d’Espagne, s’engageaient à lui prêter tout leur appui moral et même à la soutenir de leurs forces dans le cas où l’Angleterre prendrait parti pour la révolution espagnole. Sur un autre point, M. de Montmorency, dans l’ardeur de son zèle, avait visiblement dépassé ses instructions. Il avait accepté pour la France l’obligation de s’associer à une sorte d’ultimatum collectif qu’on devait adresser à Madrid, qui allait avoir forcément pour conséquence une rupture