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songé aussitôt à en profiter pour proposer deux mesures intimement liées dans sa pensée, délibérées dans le conseil, longuement méditées : l’une allégeant les charges publiques de près de 30 millions par une réduction des intérêts de la dette; l’autre, selon la parole du roi dans son discours à l’ouverture de la session, destinée à « fermer les plaies de la révolution. » Ces deux actes, qui sont restés dans l’histoire sous le nom de la conversion des rentes et de l’indemnité des émigrés, étaient l’œuvre d’une politique prévoyante et hardie que l’avenir a justifiée en la dégageant du tourbillon des passions et des disputes du temps.

M. de Villèle, arrivant aux affaires, avait vu devant lui un amas de dettes venant de la révolution, de l’empire, des invasions, et imposant au pays une somme de près de 200 millions d’intérêts qui a été bien dépassée depuis, — qui semblait alors énorme. Il avait vu en même temps, selon le mot du savant livre sur le Système financier de la France, de M. le marquis d’Audiffret, « la sécurité publique en progrès, l’abondance croissante du trésor, le développement de la richesse nationale et l’abaissement du loyer des capitaux. » Il croyait juste de ne pas laisser peser indéfiniment sur le pays un taux d’intérêt qui ne répondait plus à la vérité des choses dans les circonstances nouvelles. C’était toute la conversion des rentes. — La seconde mesure avait une bien autre portée ; par son caractère moral et économique, elle était destinée à trancher une question demeurée toujours vive et douloureuse depuis la Restauration, à devenir une sorte d’édit de pacification ou de concordat entre les intérêts, à la suite des confiscations révolutionnaires. L’auteur de la charte avait eu la prévoyance politique de consacrer l’inviolabilité des ventes de biens nationaux en même temps qu’il abolissait la confiscation pour l’avenir. Il n’avait pas pu empêcher que la situation ne fût ce qu’elle était, que la plainte des spoliés ne parût être une menace permanente pour les nouveaux propriétaires, que des malheureux éprouvés par vingt ans d’exil ne fussent exposés à revenir dénués de tout auprès de leurs domaines, passés en des mains étrangères. Une indemnité libéralement conçue, non comme une représaille de parti, mais comme un acte d’impartiale et généreuse réparation, devait avoir pour effet de clore cette poignante querelle des anciens et des nouveaux possesseurs en dédommageant les uns, en rassurant les autres, de relever la valeur des biens nationaux en effaçant la tache d’une origine suspecte, de rendre enfin à la liberté des transactions des masses de terre, frappées jusque-là d’une sorte d’interdit par l’opinion.