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l’objet des plus vives récriminations. On affectait encore de ménager le premier ministre, on voulait simplement lui imposer d’autres hommes, un autre ministère où l’on aurait fait entrer les têtes folles du parti. Tout le monde s’en mêlait, surtout le plus évaporé, le plus vain, le plus prétentieux des courtisans, M. Sosthènes de La Rochefoucauld, qui, dans cet ébranlement du royalisme, se chargeait de mêler le comique au sérieux.

Qui l’aurait cru? Déjà aux derniers momens du roi Louis XVIII, ce personnage toujours agité avait noué toute une intrigue pour donner un successeur à M. Corbière, dont il accusait « la nonchalance et la paresse. » Il fallait au ministère de l’intérieur une main plus énergique, un homme plus actif, et il ajoute avec une risible humilité : « Il faut bien que j’avoue qu’il s’agissait de moi! » Le rêve avait paru bizarre même au prince qui allait être Charles X. A défaut du ministère de l’intérieur, M. Sosthènes de La Rochefoucauld prétendait avoir reçu du roi expirant le titre de ministre d’État. Ce nouveau rêve s’était encore évanoui devant un mot ironique de M. de Villèle. A défaut du ministère de l’intérieur et du titre de ministre d’État, le remuant personnage avait dû se contenter de la direction des beaux-arts, détachée du ministère de la maison du roi, occupée par son père le duc de Doudeauville, — et dans ce poste il a été l’amusement de son temps[1]. M. Sosthènes de La Rochefoucauld ne se croyait pas moins l’inspirateur, le conseiller, le guide du ministère; il ne se décourageait pas, et un matin de 1826, revenant de province, il arrivait chez M. de Villèle pour lui déclarer solennellement que les choses s’aggravaient d’une manière effrayante, que le roi avait perdu sa popularité, qu’on restait « sans lois protectrices, sans institutions pour fonder la monarchie, sans aristocratie pour la défendre, que nulle part la main du gouvernement ne se faisait sentir, etc. » La conclusion de cette espèce d’ultimatum accompagné de complimens pour le chef du cabinet était qu’il fallait changer au plus vite quelques-uns des

  1. M. de Villèle assure dans ses Mémoires qu’il n’avait jamais eu à se plaindre de Mme du Cayla. Il raconte que M. de Semonville lui avait dit plaisamment un jour « qu’il était né coiffé, » qu’il fallait une favorite et que celle qui l’était ne se mêlerait jamais de ses affaires; il ajoute seulement: — « Il est vrai que par ricochet un autre s’en mêlait... Il me causa des difficultés par son incessante activité et son désir de se rendre utile. La vaine tentative d’amortir l’opposition des journaux, celle reproduite si souvent d’introduire dans le ministère des capacités supérieures à celles qui s’y trouvaient, ont été pour moi des occasions d’embarras. La première a coûté, je crois, beaucoup d’argent à la liste civile; mais c’est une chose dont je ne me suis jamais occupé... » — L’idée d’acheter les journaux par des faveurs ou même à prix d’argent donnait lieu à un des incidens amusans de l’époque. M. Delatouche, après avoir reçu l’argent, l’affectait, au nom du directeur des Beaux-Arts, à une souscription publique ouverte en ce moment. M. de La Rochefoucauld ne servait qu’à déverser le ridicule sur l’administration, sur le roi lui-même.