Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministres et accentuer la politique royaliste. M. de Villèle, après avoir écouté un instant son bouillant visiteur, finissait par s’impatienter et par lui déclarer vertement qu’il avait assez de ses conseils, qu’il n’y avait désormais plus rien de commun entre eux.

M. de Villèle, en éconduisant durement le frivole personnage, savait bien à quoi s’en tenir et sur la gravité des choses et sur les petites conspirations nouées contre lui. Il s’en préoccupait, et ce qu’il ne disait pas à M. de La Rochefoucauld, il le disait à son confident Corbière dans ses entretiens intimes. — « Vu Corbière, écrit-il un jour, pour conférer avec lui sur les moyens de remettre l’ordre dans les têtes et calmer les esprits agités d’une sorte de vertige très nuisible à la marche des affaires... jusqu’à l’héritier présomptif du trône qui semble atteint du mécontentement général. Le roi est tourmenté de ces fâcheuses dispositions; mais il y donne lieu en permettant à sa cour, à ceux qu’il affectionne le plus, de faire chorus avec les criailleries contre son gouvernement... » Au fond, M. de Villèle expiait la situation qu’il s’était faite par ses condescendances de réaction, par ses complaisances pour son propre parti. Les royalistes qui avaient triomphé avec lui et par lui, sans aller jusqu’à une déclaration de guerre, ne lui pardonnaient pas de résister à leurs impatiences, de rester un modéré et de mettre quelque mesure jusque dans ses concessions à l’esprit aristocratique et sacerdotal, de se défendre contre leurs ambitions et leurs vanités. Ils ne cessaient de lui créer des difficultés, sans arriver à comprendre que, si tout s’aggravait, si l’opinion s’égarait, comme ils le disaient, le mal était, non dans la modération de leur chef, mais en eux-mêmes, dans leurs passions et leurs préjugés, dans les lois de contre-révolution qu’ils prétendaient imposer, au risque de réveiller tous les instincts libéraux du pays. Ils ne voyaient pas enfin qu’après avoir compromis par leurs entraînemens le ministre qui avait le mieux fait leurs affaires, ils l’affaiblissaient par leurs dissidences et leurs intrigues pour finir par le livrer désarmé et sans défense aux oppositions redoutables qui l’attendaient à chaque pas.

Elles grandissaient autour de lui, en effet, ces oppositions formant aux deux extrémités du monde politique deux camps séparés par les opinions, rapprochés par une haine commune. Elles se développaient et se fortifiaient à mesure que se succédaient les questions irritantes, les défis de contre-révolution jetés au pays, les conflits intestins de la majorité ministérielle. La plus implacable était celle des « ultras » irréconciliables de 1815 que M. de Villèle appelait aussi les « pointus » et qui s’appelaient maintenant indifféremment la « contre-opposition » ou la « défection. » C’était le groupe des dissidens irrités, des esprits extrêmes du royalisme :