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relut l’Apocalypse. Ce pape inquiétant n’allait-il point imposer à la fois à l’Église monastique la recherche d’une science maudite et l’observance de la règle? Silvestre II, s’il tenta cette entreprise, dut y renoncer assez vite. Otton, conseillé par lui, raconte Raoul, voulut chasser de Saint-Paul-hors-les-murs quelques moines de mauvaises mœurs, prave degentes, et les remplacer par des chanoines réguliers. Mais l’apôtre apparut de nuit à l’empereur et lui fit une verte réprimande. « Un moine, bien que corrompu, dit le saint, ne peut être rejeté de sa profession ; il doit être jugé par Dieu dans l’ordre même auquel il s’était consacré. » Le pape de l’an 1000 découragé, isolé dans sa métropole encore frémissante de la révolte de Crescentius, reprit donc ses parchemins, son Virgile et ses horloges ; mais, si quelque moine s’égarait en pleine nuit dans la région sinistre du Cœlius, il apercevait, au sommet de la plus haute tour du Latran, un fantôme qui semblait se pencher sur Rome endormie : c’était le vieux Gerbert, observant dans ses miroirs astronomiques les secrets du ciel. Le noir passant, épouvanté, se signait et fuyait à travers les ténèbres. N’avait-il pas surpris le vicaire du Christ en colloque sacrilège avec Satan?


II.

La terreur du démon, tel est, en effet, l’état permanent de ces pauvres âmes dont la raison dépérit, faute de culture, et qui, bornées à la seule théologie, une théologie dépourvue de dialectique, livrées aux songes mélancoliques, souffrent d’une véritable anémie intellectuelle. On leur répète chaque jour que Satan les guette à toute heure, afin de les attirer en quelque piège; on les met en garde contre les séductions de toutes sortes par lesquelles l’ennemi cherche à les perdre : la poésie païenne, la grâce de la nature, l’orgueil de la science, l’attrait du plaisir; la règle elle-même leur fait entendre que, revenir au monde extérieur, converser avec les amis du dehors, c’est encore risquer de tomber en une embûche diabolique ; ils retrouvent la figure du démon aux étranges chapiteaux de leurs églises, au chœur, sous l’appui de leurs stalles; le démon se tapit entre les piliers du portail, il les regarde en grimaçant du haut du clocher; ils savent qu’il se glisse jusqu’à leur cellule, s’assied à leur chevet et leur souffle la tentation ; ils le sentent à leurs côtés ou dans leur conscience, partout, jusque sur les marches de l’autel. A force de songera lui, ils souhaitent de le voir, et le démon ne se fait pas prier : ils le voient face à face et lui parlent. Ils savourent alors les mortelles délices de l’extase infernale.