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sinistres hantaient toujours les ruines mal famées de la vieille ville. Le petit peuple n’avait point oublié Néron, et les clercs lettrés parlaient encore de Caligula, d’Héliogabale et de Domitien. La mémoire des premiers papes de Tusculum, imposés par les comtes du Latium, au Xe siècle, n’était point éteinte. On se rappelait Jean XII, pape à dix-huit ans, qui avait mis son harem au Latran, buvait aux dieux païens, consacrait un diacre dans une écurie ; chassé par Otton Ier il s’était caché dans les bois, « comme une bête fauve, » dit la Chronique de Farfa. L’empereur parti, il était revenu et avait chassé son successeur, Léon VIII ; il avait fait couper aux cardinaux et aux évêques du parti impérial la langue, le nez et les mains; une nuit qu’il courait les aventures dans la campagne, le diable le frappa d’un tel coup au front, qu’il en mourut. Dès lors, durant trente années, les papes de race romaine, les papes allemands, les antipapes s’étaient poursuivis et foudroyés les uns les autres, emportés par le vertige d’un tourbillon infernal. Benoît VI, renversé par Crescentius, fils de Théodora, avait été étranglé dans les caves du Saint-Ange ; Boniface VII, après quarante jours de règne, s’était enfui à Constantinople avec le trésor de l’Église, puis il était rentré à Rome et avait fait mourir de faim Jean XIV. Quelques mois plus tard, on l’empoisonnait et la populace traînait son cadavre à travers les rues jusqu’au pied de la statue de Marc-Aurèle. Jean Crescentius détrôna le pape allemand Grégoire V et créa un antipape, Jean XVI ; mais le tribun, vaincu par Otton III, avait été décapité, puis pendu par un pied au Monte-Mario. Son faux pape, arrêté dans une tour perdue au fond de la campagne, avait eu les yeux et la langue arrachés, puis on le jeta dans un monastère. C’est le premier des papes mentionnés par Glaber, sans émotion religieuse ni pitié. Alors, Silvestre II parut, à l’heure solennelle de l’an 1000, dans la métropole tragique. Après lui, et quand les grands empereurs saxons eurent disparu, les seigneurs de Tusculum rétablirent leur primauté sur Rome et firent de nouveau de l’Église universelle leur fief de famille. Après Benoît VIII, pape énergique et réformateur, ils choisirent le frère de ce dernier, Romanus, « qui acheta à prix d’or, dit Glaber, l’épiscopat de Benoît et se fit consacrer prêtre, évêque et pape, sous le nom de Jean XIX. » Dès les premiers jours de son règne, Jean se laissa entraîner, par les présens de l’empereur byzantin, à la plus étonnante folie où puisse tomber un pape romain, la reconnaissance du patriarche de Constantinople comme pape de l’Orient. « Le proverbe a bien raison, dit notre chroniqueur, un poignard d’or perce un mur de fer. L’avarice, reine du monde, avait alors placé à Rome son lit. » Les prélats italiens et l’ordre de Cluny éclairèrent à