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à 30,000 combattans. Une observation d’un autre ordre, une observation morale doit ici trouver sa place ; par un fâcheux esprit de corps, les diverses armées se jalousaient et se dénigraient mutuellement ; on connaît les rivalités des unes et des autres, depuis les généraux en chef jusqu’aux simples soldats. Ce mauvais esprit animait l’armée d’Italie contre l’armée de Naples, en sorte que les deux divisions de la première, annexées momentanément à la seconde, en étaient infectées. « Le général Montrichard était à Bologne, dit Macdonald ; je ne le connaissais pas, mais je devais lui supposer des talens, de la résolution, parce qu’il me semblait qu’il avait eu sur les bords du Rhin une sorte de réputation, sans doute usurpée, comme j’en fis la triste expérience. Je lui donnais des éloges, ne sachant pas encore qu’il avait été la principale cause de la perte du général en chef Scherer sur l’Adige. »

Convaincu que Moreau devait exécuter pour sa part le plan convenu, Macdonald descendit de l’Apennin sur Modène avec une partie de ses forces que devait appuyer Montrichard venant de Bologne. Un premier engagement eut heu, le 12 juin 1799 ; un corps autrichien fut mis en déroute et Modène occupé. Après le combat, Macdonald se tenait sur la route de Bologne, attendant Montrichard dont on n’avait pas de nouvelles, quand un détachement de cavalerie autrichienne, égaré, poursuivi, serré de près, déboucha tout à coup d’un chemin de traverse. Pris entre cette troupe et un bataillon français qui sortait de Modène, le général en chef n’eut pas même le temps de mettre le sabre à la main ; renversé, blessé grièvement à la tête, foulé aux pieds des chevaux, il demeura gisant, sans connaissance. Il ne revint à lui qu’au bout de trois heures ; parmi les généraux qui l’entouraient, le premier qu’il aperçut fut enfin Montrichard. « Voilà votre ouvrage, lui dit-il ; si vos troupes avaient pris part à l’action, cet accident ne me serait pas arrivé. » Montrichard donna pour excuse que, le régiment en tête de colonne n’ayant point de cartouches, il avait fallu attendre, pour l’approvisionner, le parc d’artillerie qui marchait en queue. « Comment ! s’écria Macdonald, des régimens en campagne sans cartouches ! et vous ne vous en êtes pas assuré ! Tous étaient-ils aussi sans cartouches ? — Non, celui de tête seulement. — Mais comment ne l’avez-vous pas jeté de côté pour faire avancer les autres ? Peu s’en est fallu que nous ayons été repoussés par votre faute. » Il baissa les yeux et ne répondit pas. « J’aurais très sagement fait alors, a dit Macdonald, de lui retirer son commandement ; nous nous serions épargné bien des événemens fâcheux dont il fut cause ; mais il était de l’armée d’Italie. »

Voilà donc le général en chef meurtri, brisé ; il voulut remettre le commandement à l’un de ses lieutenans ; tous se récusèrent ; ils