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et ployant sous le faix du commandement, il avait besoin d’un mentor; il le sentait; l’empereur lui en donnait un ; il l’accepta sans dépit, sans arrière-pensée, avec reconnaissance. Le mentor était franc jusqu’à la rudesse; mais la franchise était aussi une des bonnes qualités du prince. Pour faire à Macdonald une situation digne de lui, il lui donna le commandement d’un corps formé de deux divisions d’infanterie et d’une division de dragons. En toute occasion il prenait ses conseils, sans les suivre toujours, au moins jusqu’au bout; Macdonald l’exhortait, le poussait à entreprendre; mais lui, hanté par le mauvais souvenir de Sacile, commençait bien, puis hésitait, devenait craintif et s’arrêtait. L’ennemi, de son côté, n’était guère moins hésitant; de part et d’autre on attendait avec anxiété les nouvelles d’Allemagne ; c’était là que se jouait la grosse partie, celle qui devait être décisive ; en Italie, le jeu, qui avait bien son intérêt, n’était pas d’une aussi grande importance.

Un jour, dans une reconnaissance, Macdonald aperçut à l’horizon, en arrière des lignes autrichiennes, un grand mouvement de chariots et de bagages. « Nous sommes victorieux en Allemagne, dit-il au vice-roi, l’ennemi se retire. » Il voyait juste : c’était le contre-coup d’Eckmuhl et de Ratisbonne. On reprit l’offensive; le passage de la Piave fut exécuté de vive force ; il s’ensuivit un grand combat à la fin duquel Macdonald courut au prince et lui dit : « Voyez-vous l’aile droite de l’ennemi qui se retire précipitamment? je vais lui couper la retraite, et ce soir je vous fais présent de dix mille prisonniers. Portez-vous à notre gauche, faites un simulacre d’attaque, pendant que je fais avancer la droite. » Nous nous séparâmes, ajoute Macdonald, plus satisfaits l’un de l’autre, ce qui pourtant ne dura guère; à peine eut-il fait commencer le mouvement de la gauche que quelques coups de canon l’arrêtèrent, et il donna l’ordre d’en faire autant au centre et à la droite ; nous manquâmes ainsi notre opération. Il me dit que l’ennemi paraissait vouloir se défendre et qu’il ne voulait pas compromettre l’armée ; j’eus beau lui représenter que ces coups de canon n’avaient eu d’autre objet que de couvrir la retraite précipitée de l’aile droite ; il n’en tint pas compte. « En ce cas, lui dis-]e, je ne me mêle plus de rien ; vous commandez, donnez des ordres, je les exécuterai. » Le lendemain, j’accompagnai le prince jusqu’à la ville de Conegliano ; l’un des principaux fonctionnaires lui dit : « Ah ! monseigneur, si vous aviez seulement poussé hier deux escadrons, vous eussiez coupé toute l’aile droite des Autrichiens ; elle fuyait pêle-mêle dans le plus grand désordre, et cette fuite a duré toute la nuit. » Le prince me regarda tristement; un sourire fut ma seule réponse. »