Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui un traité écrit le plaçant sous notre protectorat. Il devait en outre, autant que les circonstances le lui permettraient, s’appliquer à établir ou à consolider notre influence auprès des chefs des divers districts qu’il traverserait et recueillir, en cheminant dans ces régions peu connues, tous les renseignemens, toutes les informations utiles. Le docteur Crozat se mit en route le 1er août 1890. Après quelques incidens fâcheux, il atteignit la capitale du Mossi, Ouaggadougou; il réussit à se faire recevoir par le naba, et, le 20 novembre, il était de retour à Sikasso.

Plus on explore l’Afrique, plus on découvre que l’homme y est aussi divers qu’en Asie ou en Europe, que de lieu en lieu les mœurs, les coutumes varient comme le tempérament, le caractère et le costume. Pour ne parler que de la boucle du Niger, on y trouve des races qui ont le génie de la conquête, de la domination, et d’autres qui sont faites pour obéir à un conquérant dont elles reçoivent la loi, tout en maudissant en secret leur servitude et en gardant au fond de leur cœur la haine de l’étranger : « Les génies du pays, disent les Sénophos du Kénédougou, se sont retirés au fond de certaines mares. Malheur à l’imprudent qui, en passant près de ces mares, se permettrait de parler la langue bambara ! Le pays est sénopho, et les génies ne veulent entendre parler que le sénopho. » Telle peuplade a le goût des entreprises, l’amour des aventures ; telle autre semble condamnée à une éternelle torpeur, à toutes les misères du corps et de l’âme, et selon le mot du poète italien, « l’étroitesse du vivre ne permet pas à ses pensées de courir. »


.... Strettezia
Del viver, che i pensier non lascia ir vaghi.


Ici on méprise le commerce et on se défie des marchands, des étrangers, des diulas; ailleurs on dit : « Ce sont les étrangers qui font la grandeur des rois en portant leur nom chez les peuples lointains, et les commerçans sont la fortune d’un pays. » A quelques pas d’un village où les arts mécaniques sont inconnus, vous en verrez d’autres qui vous étonneront par la perfection relative de leurs industries. Le capitaine Quiquandon a trouvé, dans les marchés de Sikasso, des poêles à frire d’une seule pièce et des marmites forgées en deux parties très bien ajustées. Il acheta, pour 3,500 cauris, un cadenas imité des nôtres et qui les valait. Il constata que les forgerons de l’endroit étaient d’une adresse peu commune, qu’ils refaisaient des pièces d’arme, et que l’arme fonctionnait.

Il a constaté aussi, une fois de plus, que si beaucoup d’Africains sont d’incorrigibles trembleurs, de vrais lièvres, il en est qui poussent le courage jusqu’à la témérité. Au siège de Kinian, quand un obus