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correction de la politique française depuis quelque temps. Dans les discours qu’ils ont récemment prononcés à la suite des manœuvres de l’Est, M. le président de la République, M. le président du conseil, bien qu’entourés de tous nos chefs d’armée et d’un certain appareil militaire qui échauffe toujours les esprits, n’ont pas dit un mot qui pût ressembler à une provocation ou à une jactance. On s’est même généralement abstenu en France, par un sentiment de mesure assez caractéristique, d’attacher trop d’importance à des paroles impériales qui auraient pu paraître blessantes. Si dans un grand pays libre, dans une ville comme Paris, il y a toujours des trouble-fêtes, des agitateurs subalternes, disposés à manifester à propos de tout, fût-ce à l’occasion de la représentation de Lohengrin, le gouvernement a prouvé qu’il n’entendait pas laisser la politique du pays à la merci des brouillons.

La France, pour sa part, n’a donné ni motif ni prétexte : il y a donc autre chose! Le plus vraisemblable est que le jeune empereur déçu de ses rêves de suprématie, irrité sans l’avouer des scènes de Cronstadt, aura saisi l’occasion de se dédommager par un éclat d’impatience et de mauvaise humeur. Ni Guillaume II avec ses toasts d’Erfurt, ni les défenseurs de la triple alliance, avec leur système de fausses nouvelles, ne croient certainement qu’il y ait à Paris ou à Saint-Pétersbourg une volonté délibérée de guerre: c’est le fait même de l’existence du rapprochement franco-russe qui les irrite en déconcertant leurs calculs, et c’est une raison de plus pour ne pas laisser dénaturer ce qu’on a justement appelé « une situation nouvelle, » pour se surveiller dans tout ce qu’on dit et ce qu’on fait. Le jeune et bouillant empereur s’apaisera, on doit le croire; il est même déjà à demi apaisé ou il tient à le paraître, puisque, par l’adoucissement du régime des passeports, il vient de mettre fin à cette sorte d’interdiction qui pesait depuis quelques années sur l’Alsace. C’est un acte bienvenu de conciliation après les déclamations contre « l’ennemi commun » et les vieilleries haineuses sur le « parvenu corse. » Le second mouvement vaut certes mieux ici que le premier. N’importe, il ne faudrait peut-être pas trop s’y fier; nous vivons, il faut l’avouer, dans un singulier état, où l’Europe, passant d’un jour à l’autre par toutes les contradictions, par toutes les phases de l’imprévu, est toujours réduite à se demander si elle va se réveiller sous le régime de la politique qui adoucit la condition de l’Alsace ou sous le régime de la politique du discours d’Erfurt.

Les affaires des peuples sont étrangement compliquées aujourd’hui. Elles ne sont pas seulement en Europe, où les gouvernemens ont pourtant assez de peine à se reconnaître et à se conduire; elles sont dans toutes les régions du globe, dans l’extrême Orient comme en Afrique, partout où les nations du vieux monde sont engagées par leur politique, par leurs ambitions, tantôt divisées par les conflits d’influences,