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toutes désespérantes. Une revue était commandée pour le lendemain matin, 10 mars, à six heures, sur la place Bellecour; avis fut donné au maréchal que les troupes ne souffriraient pas qu’elle fût passée par les princes. Macdonald s’y rendit d’abord seul; il fut personnellement bien accueilli, salué même par des acclamations; mais quand, ayant fait former les carrés, il se mit à haranguer les troupes, à leur rappeler leur serment, à les exhorter au devoir, une attitude morne, un silence de glace lui prouvèrent que ses paroles n’étaient pas écoutées. Il voulut voir les officiers à part; sans cesser d’être pour lui respectueux et pleins d’égards, ils ne répondirent que par des récriminations à ses discours. Tout était perdu; Monsieur et le duc d’Orléans avaient dû partir au plus vite ; les éclaireurs de la troupe napoléonienne étaient proches et les reconnaissances qu’on avait envoyées fraternisaient avec eux. Les quais du Rhône étaient envahis par la foule; Macdonald avait peine à s’y faire jour; il venait de donner l’ordre de faire sortir de Lyon toutes les troupes, quand un général osa lui dire : « c’est inutile, monsieur le maréchal, toutes les mesures sont prises pour empêcher votre départ. — Vous me connaissez sûrement trop bien, monsieur, pour croire que je puisse être facilement arrêté ; je saurai me faire jour l’épée à la main. » Cependant il courut le très grand risque d’être pris ; il fallut se mettre au galop et fuir à toute vitesse; vers le soir, au sommet de la montée de Tarare, il atteignit enfin les voitures des princes; Monsieur lui donna place dans la sienne ; les ducs de Fitz-James, de Polignac et le comte des Cars s’y trouvaient avec lui.

Quel langage doit-on penser que Macdonald ait tenu alors? C’est à lui-même qu’il faut le demander. « La conversation roula d’abord sur l’événement du jour et ses causes, le mécontentement général, de l’armée surtout, le choix des ministres, leur incapacité en matière de gouvernement, leurs opinions intempestives, leur nullité et celle de leurs agens. Je dois cette justice à Monsieur et à ses officiers qu’ils me parurent convenir franchement des fautes commises; étaient-ils de bonne foi? je le crois; la peur avait fortement agi. Monsieur dit qu’il allait éclairer le roi et solliciter des réparations : « Il est trop tard, répondis-je, l’élan est donné ; mais je ne me dissimule pas les calamités qui vont fondre à la fois sur la France. Vous-même, monseigneur, ajoutai-je, dans vos tournées, dans celles de vos fils, qu’avez-vous appris de l’opinion? Rien d’autre que les passions de vos partisans aveuglés par leur domination du moment. Vous avez dédaigne les hommes qui auraient pu vous servir utilement et vous conseiller. Il fallait attirer les militaires, vous mettre en rapport avec eux, mélanger vos officiers; ils eussent fraternisé ensemble; ils auraient été les anneaux de la