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les lois ordinaires de la psychologie. C’est là une réaction exagérée contre l’ancienne doctrine de l’unité du moi. Nous sommes loin de nier pour cela les profondes altérations que la conscience individuelle peut subir et dont il nous reste à indiquer les principales causes.


IV.

La nouvelle école de psychologie admet volontiers, comme élémens primitifs de la conscience, des états absolument détachés, sans aucun germe de moi ou de non-moi, qui ensuite pourraient s’agréger et se désagréger de cent façons. C’est là méconnaître que le plus élémentaire des états psychologiques, enveloppant à la fois une sensation reçue du dehors et une réaction exercée du dedans, enveloppe en germe le contraste du non-moi et du moi. Selon nous, une science plus avancée fera reconnaître que la conscience est, pour ainsi dire, essentiellement polarisée, alors même que les deux pôles, moi et non-moi, ne sont pas conçus par une intelligence dans leur essentielle antithèse. Brisez un aimant en particules de plus en plus petites, vous aurez encore les deux pôles, l’un propre à attirer, l’autre à repousser. De même, en tout phénomène physiologique et psychologique, il y a la direction vers le dehors et la direction vers le dedans, qui se manifestent par l’attraction et la répulsion, par le désir et l’aversion, ces deux pulsations de tout cœur qui vit. Mordre ou être mordu ne se confondront jamais, même pour le plus humble des vivans : il n’a pas besoin de savoir conjuguer aucun verbe pour discerner le passif de l’actif. Jusque dans le plus rudimentaire des réflexes ou des mouvemens instinctifs, les deux directions différentes du mouvement reçu et du mouvement restitué sont discernées par l’animal, d’un discernement sensitif et non intellectuel. Le fameux passage du sujet à l’objet, qui embarrasse tant les Berkeley et les Fichte, est tout accompli dès la première sensation du dernier des animaux : cette sensation enveloppe la conscience immédiate d’une action qu’il exerce au milieu d’un monde réel qui réagit. Selon les observations d’Engelmann, les rhizopodes retirent en arrière leurs pseudopodes lorsqu’ils touchent des corps étrangers, même si ces corps étrangers sont les pseudopodes d’autres individus de leur propre espèce; au contraire, le contact mutuel de leurs propres pseudopodes ne provoque aucune contraction. Ces animaux sentent donc déjà un monde intérieur et un monde extérieur, même en l’absence d’idées innées de causalité et probablement sans aucune conscience claire de l’espace. A plus forte raison, chez l’homme,