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second nom de la même personne, elle répondra qu’elle ne voit pas cet objet. C’est une comédie à cent actes divers, dont la comédienne est dupe toute la première. Ici encore, comparaison est raison, en vertu de l’harmonie du physique et du mental : nous pouvons donc comparer le tissu des idées à la toile que fabrique le tisserand : une « chaîne » est tendue, à travers laquelle les navettes doivent faire passer les fils de diverses couleurs pour former la « trame » aux dessins changeans ; il suffit au tisserand de lever certaines portions de la chaîne et d’en tenir d’autres abaissées, pour lancer la navette à travers tels fils, non à travers tels autres. Ceux-ci sont alors comme s’ils n’existaient pas, quoique prêts à reprendre rang plus tard. C’est l’image grossière du mécanisme cérébral : certaines chaînes d’idées et d’impulsions corrélatives peuvent être mises à l’écart ; d’autres peuvent se soulever pour recevoir tous les fils colorés qu’entraîne avec elle la navette de la pensée. Les dessins changent, et ce n’est plus la même trame d’idées, quoique la chaîne demeure toujours la même dans son fond.

En somme, l’idée du moi est un centre constant de souvenirs et d’impulsions qui se rattachent à ces souvenirs : l’altération de l’idée du moi s’explique donc par celle de la mémoire. Nous allons examiner si l’altération de la mémoire, à son tour, ne s’explique pas par celle de la sensibilité.


V.

Une des conclusions les mieux établies par la psychologie contemporaine, c’est que les souvenirs sont simplement des images ou sensations renaissantes. Ces images occupent les mêmes parties cérébrales du cerveau que les sensations elles-mêmes. Les modifications de la sensibilité doivent donc entraîner des modifications parallèles de la mémoire et, conséquemment, de la personnalité. Les troubles de la sensibilité exaltent ou, au contraire, dépriment et même suppriment certains groupes d’images, conséquemment de souvenirs. Or, les hystériques ont des troubles évidens de la sensibilité. De même, les hypnotisés présentent la dépression ou l’exaltation de certains sens. Le somnambulisme, dit M. Pierre Janet, change les images prédominantes, sans créer des sensibilités absolument nouvelles ; il relève de leur effacement certaines images particulières, il en fait un centre nouveau autour duquel la pensée « s’oriente d’une manière différente. » Réveillés ensuite, « les sujets reprennent leur pensée habituelle. »