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à l’hystérique, après avoir touché cinq fois à son insu sa main insensible, pourquoi elle a tout d’un coup pensé et choisi le nombre cinq, elle répondra : « Parce que je l’ai voulu; » en réalité, il y a eu chez elle un déterminisme latent, une véritable suggestion introduite par l’expérimentateur dans le cerveau au moyen des contacts successifs avec la main en apparence insensible. L’enregistrement des suggestions à échéance, qui tourmente si fort aujourd’hui les psychologues, nous paraît se faire d’une manière analogue. C’est une idée impulsive, une idée-force qui a été introduite dans le cerveau pendant le sommeil, puis oubliée par le sujet revenu à l’état de veille. Quand arrive l’occasion extérieure indiquée pour l’exécution de l’ordre, l’idée reparaît tout à coup dans la conscience par association, sans que le moi du plein jour sache de quelles profondeurs nocturnes elle lui est venue : c’est l’analogue du chiffre cinq qui semble surgir par la volonté de l’hystérique alors qu’il a été suggéré du dehors. Le moi s’attribue alors l’acte et en imagine des raisons parfois invraisemblables. Le sujet peut aussi, nous l’avons vu, quand l’heure d’accomplir la suggestion est venue, être saisi d’une sorte de vertige hypnotique, exécuter l’acte pendant un instant de somnambulisme, puis en perdre aussitôt le souvenir. Il est ainsi envahi par le sommeil en même temps que par l’idée de l’acte à exécuter. Dans l’écorce engourdie et inhibée par ce vertige soudain surgit une image unique, celle de tel acte, et cette image unique entraîne sa réalisation immédiate, infaillible, en mouvemens corrélatifs. On a ainsi, non l’absolue inconscience, mais le retour de la conscience à l’état presque « monoïdéique. »

M. Delbœuf a montré qu’en réveillant une personne endormie au milieu même de l’accomplissement de quelque suggestion, par exemple se lever et présenter une chaise à telle personne, l’hypnotisé a le souvenir conscient de la suggestion qui lui a été faite. Ces conditions déterminent une continuité exceptionnelle et momentanée entre les deux états : elles permettent au sujet de ressaisir un bout de la chaîne des états hypnotiques. Mais ce n’est pas pour longtemps : bientôt la vie normale reprend le dessus, la mémoire consciente des suggestions ou actes du somnambulisme s’efface ; ainsi s’effacent, comme des vapeurs, les rêves d’abord retrouvés au réveil, puis dissipés par le retour des pensées de la veille.

La suggestion peut être contre-balancée par une idée opposée qui se ranime et reprend son énergie. M. Gurney a endormi un jeune facteur du télégraphe qui avait le plus profond dégoût pour son métier. Une fois hypnotisé, ce sujet était à la merci de toute suggestion et de tout ordre, hormis un seul : rien ne pouvait