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Pour ceux qui ne pensent pas comme la majorité du moment, le droit d’association, c’est le droit d’exister.

Précisément parce que la liberté d’association est un droit, elle est la condition indispensable de la solution de quantité de questions plus que jamais à l’ordre du jour, car ces questions sont, en réalité, des problèmes de droit. Sont-elles solubles ? C’est un point qu’il y aurait, à toucher ici, de l’impertinence et de la naïveté. Mais ce que l’on peut affirmer, c’est que toutes les solutions qui se passeraient de la liberté d’association seraient illusoires. Sans la liberté d’association, la question des relations de l’État et de l’Église restera toujours à l’état de difficulté pendante, car toute Église est une association, et il est également contraire au droit de l’absorber et de la supprimer. Sans la liberté d’association, la formule exacte du contrat de travail et de louage de services sera éternellement à trouver, car le problème consiste à unir les contractans autrement que par les liens de leurs intérêts, toujours et nécessairement contraires. L’évolution même du droit privé, la transformation et la modification de ce qu’il a, dans sa forme actuelle, de trop absolu, d’exclusif et d’individualiste, c’est de l’association seule qu’il faut l’attendre. Si l’on ne croit plus aujourd’hui au développement spontané des institutions, comme l’enseignait l’école de Savigny, il est toujours vrai de dire que la coutume précède la loi et que les meilleures lois sont celles qui ne font qu’enregistrer la coutume. La réalisation du principe de solidarité, sa traduction en règles de droit, ne s’imposera jamais à coups de décrets et ne peut résulter que de l’effort continu d’associations fibres. Enfin, sans la liberté d’association, c’est le droit public lui-même qui est en péril : car la liberté des individus est toujours précaire, et, comme on l’a souvent dit et rappelé, la conséquence prévue et nécessaire des systèmes individualistes, c’est le césarisme.

Faut-il réfuter des objections surannées et qui ne reposent, à vrai dire, que sur des malentendus? Est-ce sérieusement, quand il s’agit de donner la liberté d’association, qu’on parle d’États dans l’État, de résurrection de la féodalité? Il n’est question pourtant ni de renverser les gouvernemens ni de rappeler un passé détruit. Les droits de l’État sont garantis, et nul ne songe à y porter atteinte. La loi militaire consacre son privilège exclusif de former des troupes armées : le code de procédure lui assure celui de rendre la justice. Il en est de même de tous ses droits essentiels. Aucune association n’y peut prétendre. Quant au système féodal, on oublie peut-être que les associations ont puissamment contribué à le dissoudre et que si, par la suite, elles ont dégénéré, les abus dont elles ont profité ont disparu sans retour. Les monopoles et les privilèges ont fait leur temps. L’ancien régime avait