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Il ne s’agit ici ni d’apitoyer le monde sur nos malheurs, ni de récriminer. Mais la France a souffert, et ses plaies ne sont pas fermées. Il est naturel que la représentation nationale frémisse au moindre soupçon d’une humiliation nouvelle, et les élans de sa fierté, même intempestifs, surprendront ceux-là seulement qui n’ont jamais connu les trahisons de la fortune.

Cependant la France se doit, en admettant qu’elle ne doive rien aux autres, de ne pas laisser croire au monde qu’elle ne sait pas discerner les bonnes intentions des mauvaises et qu’elle se regarde comme insultée quand on la ménage. Elle comprendra donc tout d’abord et, si nous ne nous trompons, elle a déjà compris que les autres puissances signataires ont pris en considération ses opinions particulières sur le droit de visite et, ce qui ne se voit pas souvent dans un congrès, l’ont mise hors du droit commun, non pour diminuer, mais pour étendre ses franchises. Oui, l’Europe a reconnu, dans cette circonstance, que nous avions sur l’honneur national certains sentimens d’une délicatesse particulière, et qu’il convenait d’en tenir compte. L’article 45 de l’Acte général n’a pas d’autre sens : en limitant « l’enquête sur le chargement ou la visite » aux navires naviguant sous le pavillon d’une des puissances liées par les traités, on a mis en fait[1], d’un côté la France, qui n’est astreinte aux enquêtes sur le chargement par aucune convention particulière, et de l’autre, toutes les autres puissances maritimes. Pour que nul ne put s’y méprendre, la commission maritime, après avoir expliqué dans son premier rapport comment on procéderait à l’égard de celles-ci, s’est empressée d’ajouter : « Votre commission ne pouvait que tenir compte de la situation particulière de la France dans cette question :... si le bâtiment se trouve sous la protection du pavillon français, le croiseur est, dans tous les cas, obligé de se borner à la vérification des documens mentionnés à l’article,.. » C’est-à-dire des papiers de bord. Il y a là tout d’abord, ce semble, de quoi rafraîchir le sang, j’allais dire de quoi satisfaire l’amour-propre de la nation.

« L’apparence est trompeuse, » a-t-on répondu : la vérification des papiers de bord, c’est encore l’exercice du droit de visite. Telle est du moins la proposition que M. Piou vient de développer à la tribune avec un grand talent. D’abord, n’est-ce pas détourner les mots de leur sens naturel? Il y aurait donc, chose étrange! deux droits de visite dont l’un consisterait à visiter les navires suspects, l’autre à ne pas les visiter! L’éloquent orateur a tiré,

  1. En droit, bien entendu, ce régime s’applique encore aux autres puissances dans leurs relations avec les États qui n’ont pas conclu avec elles des traités autorisant le droit de visite.