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de notre pays n’en souffrira-t-elle pas? Elle serait atteinte, qu’on y prenne garde, quand même nous multiplierions nos efforts pour faire à nous seuls la police des navires qui portent notre pavillon. Si l’inévitable résultat de cette politique superbe est, comme je l’ai montré tout à l’heure, de faire arborer les couleurs françaises par les navires de presque tous les trafiquans dans la zone « contaminée, » excepté quand ils se trouveront en face d’un croiseur français, la traite maritime se ferait donc généralement sous notre pavillon sans qu’on pût l’atteindre! Peut-on se figurer que les autres nations absoudraient notre conduite? Je veux bien croire qu’elles ne nous imputeraient pas une connivence directe. Mais comment ne nous reprocheraient-elles pas d’avoir favorisé la fraude en les empêchant de la réprimer? Si, parce que nous mettons nos gouvernans dans l’impuissance de ratifier l’acte de Bruxelles, les opérations de la traite se poursuivent à l’ombre de notre drapeau, la honte en rejaillira sur lui. C’est par là que l’honneur est en jeu.

Aux yeux de M. Félix Faure, l’article 50 de l’Acte général nous inflige une humiliation particulière. Si le croiseur, après vérification des papiers, est convaincu qu’un fait de traite a été commis durant la traversée, il peut conduire, on le sait, le bâtiment suspect dans le port de la zone la plus rapprochée où se trouve une autorité compétente de la puissance dont le pavillon a été arboré. L’acte ajoute : « l’autorité à laquelle le navire arrêté a été remis procédera à une enquête complète, selon les lois et règlemens de sa nation, en présence d’un officier du croiseur étranger. » « Ce qu’avant tout je repousse, a dit l’éminent député de la Seine-Inférieure, c’est qu’un officier étranger puisse se tenir à côté de votre commissaire enquêteur, de l’agent de la république française, pour examiner comment il opère. » Mais il n’en peut pas être autrement! Une procédure s’ouvre, et je n’aperçois pas sous quel prétexte on renoncerait à la marche invariablement suivie dans ces instances préliminaires. Est-ce que l’enquête ne doit pas être contradictoire? L’officier du croiseur ne participe pas à la direction de cette enquête; il y assiste pour débattre et contredire les dénégations du navire arrêté. L’autorité qui dirige l’enquête, s’il lui fallait procéder en son absence, se trouverait le plus souvent dans un grand embarras, par exemple si le capitaine du boutre indigène auquel on reprocherait une fraude quelconque amenait de faux témoins ou produisait de faux documens. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que cet accusateur, s’il ne prouve pas son accusation, peut être ruiné par les dommages-intérêts auxquels il sera condamné par un tribunal de la nation dont les prévenus auront arboré les couleurs. Il est donc impossible de laisser à un moment quelconque la parole