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sommes devenus les vassaux des Anglais, aurions-nous, pour les renseigner, des argumens sans réplique. Enfin, et par-dessus tout, il n’en est plus aujourd’hui comme en 1831 : en fait, on nous laissera la surveillance à l’est, surtout entre Madagascar et l’île de la Réunion, parce que nous pourrons seuls l’exercer dans une région aussi étroite. La zone de 20 milles est, en effet, singulièrement réduite par la prohibition de héler et d’accoster le navire suspect dans nos eaux territoriales, c’est-à-dire dans une région qui, n’étant expressément délimitée ni par l’Acte lui-même, ni, à tout prendre, par le droit des gens, peut être étendue même au-delà de 5 milles. La plupart des publicistes reconnaissent aujourd’hui que la bande neutralisée devra s’étendre avec la portée, de jour en jour plus grande, des moyens défensifs employés sur la côte, et presque tous les États ont d’ailleurs plusieurs frontières maritimes, selon qu’il s’agit d’appliquer les lois de douane ou les lois de pêche, de réprimer des crimes commis à bord d’un navire étranger ou de déterminer la légitimité d’une prise faite en temps de guerre. Le tribunal de commerce de Marseille n’hésitait pas à juger, il y a bientôt vingt ans, qu’un navire perdu à une distance de 6 à 9 milles avait péri dans les eaux françaises. Enfin les jurisconsultes mêmes qui tiennent pour la ligne de démarcation fixe proclament hautement que « deux ou plusieurs nations sont libres de la modifier conventionnellement. » La France et l’Angleterre pourraient donc résoudre à elles deux cette difficulté, quant à leurs relations personnelles (et cela seul importe), par un équitable règlement d’exécution qui laisserait intact l’Acte général lui-même.

En définitive, ce que demandent à la France les adversaires de la convention, c’est de se séparer ouvertement non pas d’un seul peuple, mais de tous les peuples. Si l’on avait eu la pensée, quand les seize autres puissances ont été convoquées à Bruxelles pour travailler à cette œuvre de progrès et de civilisation, d’exclure notre pays de la conférence sous prétexte de mieux respecter ses traditions et sa dignité, nous aurions ressenti profondément cet outrage. Nous n’aurions jamais pardonné qu’on nous crût incapables d’unir nos efforts à ceux des autres nations maritimes et de reprendre à côté d’elles, dans cette nouvelle période de la lutte contre l’esclavage, notre poste de combat. Que se passe-t-il à Bruxelles? Nos plénipotentiaires opposent aux propositions anglaises des contre-propositions, et, sur la plupart des points, obtiennent gain de cause. On s’étudie à concilier notre amour-propre avec les nécessités d’une répression collective, et, pour atteindre ce but, on nous accorde la faveur d’un régime particulier que nous avions accepté de bonne grâce en 1845, on fait passer dans l’œuvre