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lui allait crouler comme un château de cartes. Pour attirer à lui les députés du centre, Depretis avait fait l’expédition de Massouah; mais, comme toujours, les moyens qu’il avait employés étaient insuffisans pour le but à atteindre, et il en était résulté la défaite de Dogali. Sous cette impression on lui avait imposé comme collègue M. Crispi, qui se faisait fort d’augmenter les budgets de la guerre et de la marine autant qu’il était nécessaire pour faire de l’Italie une puissance militaire et maritime de premier ordre.

Quand on rencontre incessamment un obstacle sur son chemin, on finit par le prendre en aversion. C’est ce qui arriva à l’égard de la France aux personnes qui étaient intéressées à la protection douanière; et cela souvent même sans parti-pris, sans en avoir conscience, poussées seulement par le désir naturel d’écarter les objections qu’on leur opposait.

Si la France n’achetait plus les produits italiens, on trouverait aisément à les vendre ailleurs. Au reste, la France avait encore plus besoin d’acheter les vins et les soies de l’Italie, que celle-ci de les vendre. Les journaux qui défendaient les intérêts des industriels répétaient à l’envi qu’avec la protection douanière les Italiens se seraient enrichis, et qu’ils auraient pu boire eux-mêmes leur vin, ce qui valait bien mieux que de le vendre aux Français ! Et de telles insanités étaient commentées sur tous les tons et obtenaient créance même parmi les gens instruits. Le marché financier français se fermerait à l’Italie. Eh bien! tant mieux! L’Allemagne n’était-elle pas là, attendant avec impatience de pouvoir largement subvenir avec ses capitaux aux besoins de l’Italie ?

Ce mouvement, provoqué par des gens qui voulaient battre monnaie aux frais de leurs concitoyens, se rencontra avec un autre de nature exclusivement politique, lequel poussait alors l’Italie à s’engager de plus en plus avec l’Allemagne. Ce dernier était surtout l’œuvre des personnes que M. Jacini a si bien caractérisées en les appelant mégalomanes, que le nom leur en est resté. M. de Molinari avait déjà signalé cette tendance d’une partie de la bourgeoisie italienne dans son livre, les Lois naturelles de l’économie politique, et en avait peint les désastreuses conséquences économiques. Nous croyons pourtant que l’appréciation de M. Jacini est d’une portée beaucoup trop générale. La manie des grandeurs n’est pas au fond très répandue parmi les Italiens, lesquels ont souvent au contraire une simplicité de mœurs qu’il n’est pas facile de trouver dans d’autres pays. C’est surtout, et cela est fort différent, parmi les hommes politiques que sévit cette manie. Et pour parler plus exactement, il faudrait dire : parmi les politiciens.

La plupart des partisans de M. Crispi se moquaient souvent avec