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par des actions éclatantes, qu’il eût des titres particuliers à la faveur publique ? C’était un soldat qui avait servi comme tant d’autres, pas mieux que d’autres, qui pouvait avoir sa place parmi ses compagnons de l’armée, sans avoir mérité le privilège des commandemens exceptionnels. Appelé au ministère de la guerre par le caprice des partis, il n’avait rien fait pour l’organisation militaire du pays, il ne s’était distingué que par des captations, des puérilités et tous les manèges d’une ambition impatiente. Il ne se révélait, à Tunis ou à Paris, que comme un intrigant sans passé et sans gloire. — Est-ce donc qu’à défaut de l’éclat d’une grande carrière militaire, il eût laissé entrevoir des dons de gouvernement, une certaine supériorité politique, des projets faits pour conquérir les masses? Mais depuis le premier jour où il a prononcé un discours jusqu’à ce malheureux testament prétendu politique qu’il vient de laisser en mourant, dans tout ce qu’il a dit ou écrit, il n’y a pas une idée saisissable, pas l’apparence d’un sentiment sérieux des choses, d’une politique de réorganisation publique ou de réforme précise. Tout se réduit à des mots, à des banalités, — à la révision, l’éternel remède des agitateurs, des dévoyés et des impuissans. Qu’y a-t-il dans ces élucubrations prétentieuses et vides qui ait pu parler à l’imagination d’un peuple? Il a bien fallu, cependant, qu’il y eût quelque raison secrète pour qu’un homme qui n’avait pour lui ni le lustre des services militaires, ni l’autorité d’un vrai politique, ni nom ni passé, ait pu, ne fût-ce qu’un instant, fasciner l’opinion, attacher à son char les multitudes. C’est là toujours le problème!

Le fait est que, sans avoir aucun titre, le général Boulanger a eu la chance d’entrer en scène à un moment où tout semblait usé et épuisé, où le gouvernement et les partis ne savaient plus de quel côté se tourner, où le pays, fatigué et découragé de tout, en était à chercher qui le tirerait du gâchis, — et le nouveau-venu en a profité dans l’intérêt de sa remuante ambition. Il a trouvé sa raison d’être dans cet état maladif de l’opinion et des complices, dans les partis qui ont espéré se créer une force avec cette popularité improvisée d’un soldat de fortune. Lui, il s’est servi de tout sans scrupule, trahissant ses collègues du ministère et se moquant de la discipline, flattant tour à tour tous les partis, proscrivant les princes après avoir écrit des lettres adulatrices à M. le duc d’Aumale, — pour en revenir à des visites clandestines à M. le comte de Paris ou au prince Napoléon, — ralliant les soldats de la Commune après les avoir mitraillés, promettant tout ce qu’on voulait, aux uns l’apaisement, aux autres la réalisation des rêves socialistes. Il a failli réussir ! Il est arrivé à être un instant le favori des radicaux, l’espoir des conservateurs, l’idole des masses populaires qui, sans savoir pourquoi, ont cru voir en lui leur nouveau messie. Son malheur a été de n’être tout simplement qu’un intrigant et un