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chambres françaises auraient pour le moment de mieux à faire, ce serait de limiter et de préciser leurs travaux, de reprendre tous ces débats interrompus sur le budget, qui est l’expression de la situation financière, sur le régime douanier qui peut avoir une influence directe, décisive, sur la prospérité publique, sur les rapports commerciaux de la France. Le plus important aussi serait de suivre avec une attention vigilante, impartiale, toutes ces questions du travail qui se pressent de plus en plus, tout ce mouvement de grèves, de coalitions, de revendications ouvrières qui s’étendent en province comme à Paris, dont le dernier mot peut être la ruine de la production nationale et des populations laborieuses elles-mêmes.

C’est bien clair : nous entrons dans une phase où toutes les conditions du travail sont remises en doute et où tout se complique, s’envenime par l’intervention croissante de congrès, de syndicats, de meneurs plus ou moins avoués, plus ou moins occultes, qui se croient le droit de jeter à leur gré sur le pavé des milliers d’ouvriers. Il n’y a point à s’y tromper, la crise est dans toutes les industries successivement atteintes. Il y a quelques mois, c’était la grève de la boulangerie parisienne qui s’ouvrait sous un prétexte futile et dont les meneurs déclaraient lestement qu’ils iraient jusqu’à laisser Paris sans pain s’il le fallait. Plus récemment, ce sont les syndicats des chemins de fer qui, au risque de provoquer une crise redoutable dans la vie nationale, ont fait ce qu’ils ont pu pour désorganiser le service des communications publiques en France. Aujourd’hui, c’est dans l’industrie de la verrerie, disséminée du nord au midi, que la grève éclate en même temps. Dans la Thiérache, à Anor, à Hirson ; dans le nord, à Fourmies, à Valenciennes, — à Reims, à Épernay; dans le centre, autour de Montluçon ; dans le midi, à Carmeaux, partout ou presque partout le travail est suspendu, l’usine est désertée. Si on interroge les ouvriers qui se mettent en grève, ils sont un peu embarrassés. Beaucoup ne demanderaient pas mieux que de reprendre le travail ou de ne pas le quitter, — ils n’osent pas! Il en est qui avouent avec une naïve sincérité qu’ils n’ont aucun différend de salaire avec leurs patrons : c’est par « esprit de solidarité » qu’ils se décident; en d’autres termes, c’est le mot d’ordre des syndicats qui est suivi ! Qu’arrive-t-il ? Les ouvriers se coalisent, ils en ont le droit ; les patrons, de leur côté, se coalisent pour résister plutôt que de subir des conditions qui iraient sur certains points jusqu’à leur imposer une augmentation de charges de 45 pour 100, c’est-à-dire la ruine. Les plus résolus ont déjà éteint leurs fours ; les plus patiens, après quelques jours de réflexion laissés à leurs ouvriers, vont les éteindre à leur tour. Et comme on ne rallume pas des fours à volonté, c’est, dans tous les cas, même si le travail reprenait, un chômage forcé d’un, deux, peut-être trois mois. Ce