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aux doctrines dont les conséquences ne semblent rien avoir de très dangereux pour l’institution sociale, il s’attaquât surtout à celles qui la mettent plus ou moins ouvertement en péril. Telles sont entre autres les doctrines, moins philosophiques peut-être, mais infiniment plus répandues, qui trouvent une excuse au crime dans la violence des passions dont il est l’assouvissement, amour ou jalousie, par exemple, haine ou vengeance… On pourrait dire en effet de celles-ci que, par le plus subtil et le plus dangereux des sophismes, elles nient le libre arbitre au nom des raisons mêmes pour lesquelles nous en avons besoin. Cependant les crimes passionnels, qui sont ceux que nos jurys, que l’opinion publique traitent avec le plus d’indulgence ou de fausse pitié, sont peut-être quand on les examine, les plus odieux, les plus dangereux de tous, et surtout les plus antisociaux. Si M. Proal l’avait mieux montré, dans un travail dont l’objet était « d’examiner et d’apprécier les principes sur lesquels repose la pénalité dans les doctrines les plus modernes, » je ne crois pas qu’il fût sorti de son programme ; et, sans doute, il eût trouvé là l’occasion de plus d’une remarque utile.

Ce qu’il y a, en effet, d’inexcusable et de profondément odieux dans le crime passionnel, c’est que le criminel n’y met pas un instant le droit ou la vie même des autres en balance avec la satisfaction des plus grossiers appétits ; et, nous, malheureusement, c’est ce que nous refusons aujourd’hui d’y voir. « Elle me résistait, je l’ai assassinée ! » ou « Il ne voulait pas m’épouser, je l’ai vitriolé : » non-seulement nous ne sentons plus ce qu’il y a d’animal dans ces cris de la vanité féminine ou de l’orgueil des sens exaspérés, mais peu s’en faut, en vérité, que nous n’admirions ceux qui les poussent, quand encore nous ne les envions pas. Et, pour leurs victimes, nous les plaignons, sans doute, mais au fond nous ne sommes pas éloignés de croire qu’elles ont mérité leur sort I Car enfin, un « honnête homme, » qui aime à aimer, n’a-t-il pas pour ainsi dire, dans le pays de Béranger, une espèce de droit naturel sur toutes les femmes qui lui plaisent ? Mais une fille qui veut se « réhabiliter » n’en acquiert-elle pas un sur tous les hommes dont elle a pu provoquer les désirs ? et pourquoi, s’ils avaient droit à leur part de bonheur, leurs victimes la leur ont-elles refusée ? Qui ne voit que si ces sophismes ont quelque chose de « littéraire, » je veux dire si le théâtre et le roman depuis tantôt cent ans en ont fait des lieux-communs d’immoralité, ce n’en sont pas moins des sophismes ? Ni l’amour ni la haine qui tuent n’ont rien de moins coupable que la cupidité qui vole ; — et j’ajoute qu’en dépit de l’apparence, ils ont quelque chose de plus dangereux qu’elle, comme ayant quelque chose de plus antisocial.

Je sais bien ce que l’on répond : qu’autant qu’il y a de chances