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L’acte du séminaire demeure décidément le sommet dramatique de l’œuvre ; mais l’acte suivant, moins en vue et d’une couleur très différente, nous a plus que jamais charmé : l’hôtel de Transylvanie. C’est un tableau plein de mouvement et de vie, je dirais même de vice. Étincelant à la surface, mais avec des dessous équivoques : phrases d’orchestre ou tortueuses ou en quelque sorte débraillées ; légers frissons de cymbales sinistres, il rend étonnamment la physionomie et jusqu’à l’atmosphère d’un tripot et d’un mauvais lieu. La chanson de Lescaut a le tintement et presque le reflet de l’or. Quant au brindisi de Manon, l’originalité des cadences, et surtout une orchestration féerique où les violons scintillent comme des diamans aux lumières, lui donnent des feux éblouissans.

Mlle Sanderson a fait jaillir ici de sa voix mille étincelles ; il lui faut de ces aigrettes sonores. L’ensemble du rôle ne lui convient guère. Elle a bien dit pourtant, plus que bien même, la phrase de la lettre et quelques autres encore. Depuis Esclarmonde, le progrès est incontestable ; la prononciation s’est améliorée et la voix égalisée. Mais la bello cantatrice ne possède encore ni l’aisance, ni le naturel, ni la vie. M. Fugère a tout cela, et du moindre rôle, celui du comte des Grieux, il obtient ici le plus grand effet.


CAMILLE BELLAIGUE.