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volonté, de part et d’autre, de ne pas s’en départir et que nous sommes ainsi dispensé de nous égarer, avec le lecteur, dans les méandres de cette laborieuse et stérile négociation.

À ce moment même, un nouveau cabinet s’était formé à Paris, qui devait son avènement au concours de la gauche, et se trouvait ainsi, non moins et peut-être plus obligé que le cabinet précédent de tenir grand compte du sentiment public. Il était présidé par M. Thiers, qui prit le portefeuille des affaires étrangères, et c’est à lui que M. Guizot eut à rendre compte de sa conférence avec lord Palmerston. Que lui répondit-il et quelles directions crut-il opportun de lui donner ? Il lui recommanda « de gagner du temps, de dire que nous n’avions point d’opinion absolue, point de parti-pris ; de discuter les politiques diverses, de démontrer les inconvéniens de celle que lord Palmerston voulait faire prévaloir, et de retarder ainsi toute résolution définitive. » Notre ambassadeur devait, d’autre part, se refuser à toute délibération commune avec les quatre puissances, n’avoir, en quelque sorte, de rapports officiels qu’avec les ministres anglais, et dégager ainsi le gouvernement français des liens que la note du 27 juillet 1839 lui avait imposés. « Il espérait, écrit M. Guizot dans ses mémoires, qu’avec le temps, sous le poids des périls et des embarras de la situation, en présence des difficultés sans cesse renaissantes du concert entre les cinq cours, le sultan et le pacha finiraient par s’arranger directement ; ou bien que, de guerre lasse, les puissances elles-mêmes se résigneraient à accepter et à garantir, entre la Porte et son vassal, le maintien du statu quo ; ce qui était, à son avis, la meilleure des combinaisons. »

M. Thiers s’abusait. Au point où on étaient les choses, même au mois de mars, il était téméraire de présumer que l’empereur Nicolas et lord Palmerston, si personnellement engagés, si désireux, l’un et l’autre, d’assurer le triomphe de leurs propositions, s’inclineraient devant des arrangemens pris sans leur participation et dont le succès eût été, pour eux, un éclatant échec. Le gouvernement français, qui cependant ne faisait entendre à Alexandrie que des conseils de modération, s’exposait en outre au reproche d’avoir entretenu et encouragé des espérances propres à entraver l’action collective des puissances. Qu’arriva-t-il en effet ? Les négociations se poursuivaient ; de toute part on cherchait encore les élémens d’une transaction pouvant réunir l’assentiment de tous les cabinets, et celui de Londres, sur les instances de la cour de Vienne, avait consenti à joindre, à l’Egypte à titre héréditaire, le pachalik de Saint-Jean-d’Acre à titre viager, quand, au mois de juin, le grand-vizir, Kosrew-Pacha, le plus intraitable adversaire de Méhémet-Ali, fut révoqué de ses hautes fonctions. Le pacha manifesta