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cantonnemens, tout se tient. Une conception erronée des manœuvres enlève aux chefs des armées toute initiative effective dans leurs mouvemens ; elle est condamnée par cela même à leur enlever la liberté de leurs cantonnemens, à déterminer d’avance leurs centres de distribution[1]. La partie, de beaucoup la plus difficile, de la mission des états-majors en campagne, est d’assurer le ravitaillement aux points mêmes où les opérations de guerre les ont conduits : toute cette besogne a été tenue, encore une fois, en dehors de leurs attributions. Dès lors, si l’expérience du haut commandement a été faite d’une manière insuffisante pour le rôle de l’avant, elle ne l’a pas été du tout pour le rôle de l’arrière. Quand la fera-t-on, cependant, si ce n’est en temps de manœuvres ? Quand saura-t-on, puisque l’école des exercices de la paix ne nous l’a point appris, si les organes de l’approvisionnement fonctionnent avec la célérité et la régularité qui sont nécessaires à la subsistance des troupes ? Quel moment le ministère de la guerre attend-il pour mettre à l’épreuve le mécanisme des convois de ravitaillement sur nos voies ferrées ? Les troupes, pendant les manœuvres, n’ont eu avec elles qu’un seul jour de vivres. Les deux jours de vivres des trains régimentaires auraient suffi pour faire l’expérience, mais il eût fallu pour cela abandonner aux partis opposés une certaine liberté d’action et c’est précisément ce que le programme ne comportait pas. Au lieu de demeurer dans son véritable rôle, qui ne laisse pas déjà d’être assez écrasant, de rester ce qu’il doit être, un organe de direction et d’impulsion, le grand état-major a voulu encore se faire un agent-général d’exécution, et il l’a été. Il y a réussi, mais à quel prix ? Au prix des expériences mêmes qu’il eût été le plus utile de poursuivre, sans parler des fatigues inutiles que la désignation anticipée des centres de ravitaillement devait nécessairement infliger aux troupes. La manœuvre finie, certains régimens ont eu à faire, — avant de trouver les cantonnemens qui leur étaient assignés, — des marches de retour qui les faisaient rentrer à dix et onze heures de la nuit ; le 7 septembre, la 1re division de cavalerie a exécuté ainsi une marche de retour de 55 kilomètres ; les chevaux ont eu, ce jour-là, 90 kilomètres dans les jambes.

J’entends l’objection : la dépense budgétaire, pour les manœuvres, a déjà été considérable ; s’il avait fallu faire l’expérience complète, qui eût exigé la mobilisation de tous les élémens de la région, la dépense eût paru excessive. En temps de guerre, les troupes cantonnent évidemment où elles se trouvent, mais

  1. On pourrait dire également : Liberté de ravitaillement, d’ liberté de cantonnement, d’ liberté de manœuvres. Le résultat, d’ailleurs, est le même.