et elle n’essaya point de chanter la sienne. Pendant plusieurs années elle vécut d’une vie errante et solitaire, changeant de lieux et de climats, suivant les saisons, allant de France en Angleterre, retournant d’Angleterre à Nice, mais fuyant les lieux qui avaient été autrefois témoins de son bonheur. Sous les grands sapins, au bord des lacs brumeux de l’Allemagne qu’elle avait tant aimés, elle craignait de voir l’ombre des jours heureux se lever comme un fantôme en larmes. « Comment pourrais-je, disait-elle dans les premiers vers qu’elle ait écrits quatre ans après son malheur :
- Par les mêmes sentiers traîner ce cœur meurtri,
- Seule où nous étions deux, triste où j’étais heureuse,
- Pleurante où j’ai souri ?
Nice, où elle avait une sœur mariée, l’attirait de préférence. Cependant la pureté du ciel, la splendeur des montagnes neigeuses et le divin sourire du golfe attristaient son âme et faisaient monter les larmes à ses yeux. Le plaisir qu’elle goûtait à contempler la nature lui semblait comme une infidélité au souvenir du compagnon chéri que lui avait pris le tombeau :
- Souvent je me reproche, ô soleil sans nuage,
- Lorsqu’il ne te voit plus, de te trouver si beau.
Elle finit par se fixer sur cette côte où tant d’êtres qui étaient venus chercher la vie ont souvent trouvé la mort, et qui sait parfois consoler les douleurs dont elle a été témoin. Elle s’établit bien loin de Nice, dans une petite propriété achetée par elle au sommet d’une colline, d’où la vue s’étendait sur un vaste horizon de mer et de montagne. Ce fut là, loin des siens, dans une solitude presque absolue, que pour la première fois, depuis le grand naufrage où elle avait tout perdu, son pauvre cœur fatigué de ses larmes connut quelque apaisement, et qu’elle put :
- … sous ce ciel que l’orange parfume
- Et qui sourit toujours,
- Rêver aux temps aimés et voir sans amertume
- Naître et mourir les jours.
Parfois l’ordre éternel de la nature et le spectacle de ses lois immuables apporte ainsi quelque consolation à ceux qui ne savent point en trouver ailleurs. Le malheur qui les a frappés cesse d’apparaître à leurs yeux comme un accident pour se confondre avec les phénomènes réguliers de l’univers, et le sentiment de l’inéluctable leur tient lieu de résignation. Ces vers que je viens de citer et qui datent de 1852 sont dans l’œuvre de Mme Ackermann les