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démirent de leurs fonctions ; ils les reprirent le 16, après avoir fait acte de soumission au vice-roi et avec l’assentiment des représentai de la France et de l’Angleterre. M. Sienkiewicz télégraphiait le même jour à M. de Freycinet : « Mahmoud Pacha-Samy s’est rendu ce soir chez le khédive avec tous les ministres et a protesté de son dévoûment envers Son Altesse. Arabi-Pacha s’est également déclaré fidèle serviteur du khédive. Le gouvernement égyptien est donc reconstitué. »

Que s’était-il donc passé et quel grave événement avait subitement ramené les ministres égyptiens à la prudence et à la modération ? Informés des audacieuses entreprises qui se préparaient au Caire, les cabinets de Paris et de Londres n’avaient pu se dissimuler que la sécurité de leurs nationaux était exposée à des périls imminens, et afin de mettre leur responsabilité à couvert, ils avaient, en toute hâte, résolu d’envoyer une escadre combinée dans les eaux d’Alexandrie. L’initiative de cette détermination fut prise par M. de Freycinet ; le 12, il y conviait le gouvernement anglais, qui l’agréa dès le lendemain. Ainsi que l’avaient prévu les agens des deux pays, cette démonstration produisit, dès qu’elle fut annoncée, un effet salutaire et considérable, une vive satisfaction d’un côté, une profonde inquiétude de l’autre, et l’on vit ce spectacle curieux, les ministres égyptiens hautains et impérieux la veille, préparant la déchéance du khédive dans l’insolent dessein d’hériter de son pouvoir, se montrer, le lendemain, humbles et soumis. Le sort de leurs personnes leur parut si compromis qu’ils consentirent à débattre non-seulement les conditions de leur retraite définitive, mais encore celles de leur éloignement au Soudan ou à Constantinople. Si aveugles qu’ils fussent, ils n’avaient pu s’imaginer que la France et l’Angleterre avaient mis en mouvement un si puissant appareil de guerre uniquement pour la défense de leurs nationaux, et la perspective de se trouver à la merci des deux amiraux les avait désarmés.

Ils se méprenaient cependant ; aussi leur défaillance fut-elle de courte durée. Dans les communications échangées entre M. de Freycinet et lord Granville à cette occasion, il fut stipulé, en effet, qu’au cas où elles croiraient utile de débarquer une force armée, « les deux puissances ne recourraient ni à des troupes anglaises ni à des troupes françaises, mais qu’elles feraient appel à des troupes turques[1]. » On n’avait pas voulu, à Londres, dévier de la résolution de ne pas s’engager, à deux, dans « une action effective ; » à Paris, on ne voulait prendre aucun engagement de cette nature sans y avoir été autorisé par un vote préalable de la chambre. Faire

  1. Dépêche de M. de Freycinet du 12. — Dépêche de lord Granville du 13 mai.