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apparaître une double escadre et circonscrire dans ces limites sa liberté et son concours, en présence d’une situation d’où pouvaient surgir, à tout instant, les complications les plus désordonnées, c’était exposer les deux pavillons à en être les témoins impuissans, au grand dommage de leur prestige et des intérêts qu’ils avaient mission de défendre ; c’était également encourager les perturbateurs de l’Egypte à persévérer dans leurs tentatives révolutionnaires. Et c’est ce qui survint. Ces mêmes ministres, si timorés la veille de l’arrivée des deux flottes, purent s’assurer, dès le lendemain, qu’ils n’avaient rien à redouter de leur présence, s’ils maintenaient la tranquillité publique, si aucun péril ne menaçait les étrangers ; et revenant aussitôt de ses alarmes, Arabi-Pacha, de concert avec ses collègues, put déclarer hautement, le 22, « qu’il lui était impossible de quitter l’Egypte[1]. »

Comme les amiraux, les agens diplomatiques devaient s’interdire toute démarche comminatoire, sauf le cas où il y aurait lieu de pourvoir à la défense de la colonie étrangère ; ils étaient autorisés cependant à procéder, d’un commun accord et en s’inspirant des circonstances, par voie de conseil et même de représentation. La nouvelle attitude du cabinet égyptien les détermina à user de cette faculté. Le 25 mai, ils présentèrent au vice-roi personnellement une note officielle dans laquelle ils indiquaient comme moyens de mettre fin à toutes les difficultés : « 1° l’éloignement temporaire de l’Egypte d’Arabi-Pacha ; 2° l’envoi dans l’intérieur de l’Egypte d’Ali-Pacha-Fehmy, président du conseil, et d’Abd-el-Al-Pacha (le plus entreprenant des colonels) ; 3° la démission du ministère[2]. » Informés de cette démarche, les ministres protestèrent par une communication écrite, adressée au khédive, contre cette immixtion étrangère dans des questions d’ordre intérieur, qui constituait, disaient-ils, « une atteinte aux droits du sultan. » Le lendemain, généraux et officiers arrivaient au palais, réclamant le maintien d’Arabi-Pacha au ministère de la guerre. Cette manifestation, dans de pareilles circonstances, était un avertissement impérieux, marquant assez que l’armée obéirait aveuglément au ministère ; et, dernier trait venant s’ajouter à cet état de profonde anarchie, l’amiral commandant les forces britanniques à Alexandrie télégraphiait, le 27, à son gouvernement : « Les Égyptiens construisent une batterie en face d’un de mes bâtimens, » et il demande instamment des renforts.

En présence de ces divers incidens, le cabinet de Londres ne fut pas longtemps à s’avouer que la démonstration franco-anglaise,

  1. Dépêche de M. Sienkiewicz du 22 mai.
  2. Dépêche de M. Sienkiewicz du 25 mai.