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nous avons avec l’Europe, il est parfaitement spécifié que cette situation prépondérante de la France et de l’Angleterre est maintenue et reconnue. C’est sur cette base que les échanges de vues ont lieu avec les puissances. » Le 11 mai, mis en demeure de s’expliquer de nouveau, il se maintient sur le même terrain, il renouvelle les mêmes déclarations en les affirmant avec plus de précision. « Nous sommes préoccupés, et nous l’avons toujours été, dit-il, de deux choses : — conserver à la France la situation privilégiée qu’elle a en Égypte, l’influence prépondérante que lui ont acquise les concours de toute nature qu’elle a prodigués à ce pays, l’influence que lui assure la présence d’une colonie française qui porte haut et ferme, avec dignité, le drapeau de la patrie ; — maintenir l’indépendance de l’Égypte telle que les firmans l’ont établie ; nous ne souffrirons pas, autant que cela dépendra de nous, que, de quelque crise que ce soit, l’Égypte puisse sortir moins libre et moins indépendante qu’elle ne l’est aujourd’hui. » Et, revenant aux communications que la France et l’Angleterre échangeaient avec les autres gouvernemens, il reprenait : « N’ayez nul souci, messieurs, des conséquences que peut avoir cette consultation ; les grandes puissances sont unanimes à reconnaître que la situation de la France et de l’Angleterre est prépondérante en Égypte ; elles le reconnaissent, elles le proclament, et elles ne font aucune difficulté d’abandonner aux deux cabinets de Londres et de Paris la direction de cette politique. C’est donc un fait acquis aujourd’hui que, dans la question égyptienne, l’avis de la France et de l’Angleterre, d’accord entre elles, devra prévaloir. »

M. de Freycinet s’abusait. Il se persuadait encore que, fidèles à l’entente qui les avait si longtemps unies, la France et l’Angleterre n’abdiqueraient pas entre les mains de l’Europe ; qu’en solidarisant leurs efforts elles parviendraient à faire prévaloir, avec le maintien de l’état conventionnel, la position privilégiée qu’elles avaient acquise et la politique qu’elles avaient défendue en Égypte depuis l’origine du conflit ; qu’elles pourraient enfin y exercer leur action commune sous le contrôle, mais sans la sanction préalable des autres puissances. Ce n’est pas ainsi que, depuis plusieurs mois, on envisageait, à Londres, les difficultés du problème qu’on avait à résoudre en ce moment. Nous avons vu, en effet, le gouvernement anglais obliger soudain la France de solliciter avec lui le concours diplomatique de tous les grands cabinets ; il n’entendait pas les consulter, mais bien les réunir en conférence pour délibérer sur le meilleur moyen de mettre fin aux troubles de l’Égypte, et ce moyen lui semblait être, — il l’avouait hautement, — l’intervention armée de la Turquie s’exerçant avec l’assentiment et sous les yeux de l’Europe. Ceci se passait pendant les