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discussion dans la séance du 18. Des orateurs de marque y intervinrent et on entendit de savantes dissertations sur les origines et le caractère du peuple égyptien, sur les inconvéniens et les avantages d’une action étrangère, sur l’alliance anglaise, sur la situation politique de l’Europe et la vigilance qu’elle imposait à la France ; les plus nobles pensées y furent développées, ainsi que les plus ingénieux aperçus, finement détaillés, et ces opinions diverses, si contradictoires qu’elles fussent sur plusieurs points, furent également applaudies. Ce débat, cependant, ne pouvait aboutir à aucune résolution positive. Il ne s’agissait point, en effet, de savoir si on autoriserait le gouvernement à engager notre drapeau en Égypte ou seulement dans le canal de Suez, mais de décider s’il y avait opportunité de mettre notre marine, fort mal dotée pendant les dernières années, sur un meilleur pied et en mesure de rendre les services qu’il pouvait devenir urgent de lui demander. Or sur ce dernier point on était unanime et, loin de combattre les crédits sollicités par le ministère, d’aucuns en signalèrent l’insuffisance. Directement interpellé et pressé de s’expliquer sur ses intentions ultérieures, le président du conseil déclara enfin que le gouvernement soumettrait à la chambre la question de Suez lorsque son heure serait venue, n’ayant nulle intention de lui demander, par voie indirecte, son consentement à une action quelconque. C’était ajourner le débat, dont l’intérêt fut relevé cependant par l’intervention de Gambetta et de M. Clemenceau, qui, en cette occasion, se mesurèrent sans se combattre, le premier conjurant le cabinet de rester uni à l’Angleterre, le second le conjurant de s’en défier ; celui-là, invoquant les saines doctrines parlementaires, — la résolution pour le gouvernement, le contrôle pour la chambre, — celui-ci prenant acte impérieusement de la déclaration de M. de Freycinet, « qu’avant d’engager aucune action, il reviendrait devant la chambre ; » l’un et l’autre orateur donnant, au ministère, sous ses réserves contradictoires, un vote de confiance qui lui fut accordé par 421 voix contre 84.

Le 16 juillet, nous l’avons dit, les deux cabinets de Londres et de Paris s’étaient mis d’accord sur les termes de la proposition touchant le canal de Suez, dont ils avaient résolu de prendre l’initiative, et on se rappelle que leurs représentans l’avaient soumise, le 19, à l’examen de la conférence. Lord Granville et M. de Freycinet pensaient, avons-nous ajouté, qu’elle serait agréée et que la France et l’Angleterre, en situation de garantir sans retard la sécurité du passage entre les deux mers grâce aux forces qu’elles avaient sur les lieux, seraient chargées d’y pourvoir[1]. C’était une erreur.

  1. Dépêche de M. de Freycinet à M. Tissot, 13 juillet.