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Directement informés de cette démarche, les autres cabinets, à l’exception de celui de Saint-Pétersbourg, après s’être concertés, déclarèrent à Paris et à Londres qu’il ne pouvait leur convenir de déléguer leurs pouvoirs aux deux puissances occidentales en leur donnant mandat de protéger le canal. La triple alliance était nouée et ce fut sa première manifestation. L’entente de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie se révéla bientôt par une contre-proposition, que le représentant du cabinet de Rome fut chargé de soumettre à la conférence, et ayant pour objet de substituer, à la protection séparée de la France et de l’Angleterre, la protection collective de toutes les puissances. Aux prises avec les difficultés de la lutte qu’elle avait engagée en Égypte, l’Angleterre ne s’accommodait pas de ces lenteurs. Redoutant un coup de main d’Arabi-Pacha qui aurait pu, en obstruant le canal, intercepter ses communications avec les Indes, entraver la concentration de son armée et causer un grave préjudice à son commerce, elle voulut y aviser sans délai. Elle proposa à la France, qui y consentit[1], de notifier à la conférence que « les deux puissances sont, quant à présent, convenues que, dans l’état actuel des choses, elles sont prêtes, si la nécessité se produit, à s’employer pour protéger le canal de Suez, soit seules, soit avec l’adjonction de toute puissance qui voudra prêter son concours. » C’était annoncer en un langage à la fois incorrect et sibyllin que la France et l’Angleterre occuperaient le canal s’il était menacé avec ou sans l’assistance des autres puissances. Dès ce moment, le cabinet français était lié ; il s’était engagé avec celui de Londres à couvrir le canal contre toute agression, quelles que fussent les résolutions de la conférence. Hâtons-nous d’ajouter que cette fois encore, M. de Freycinet avait expressément réservé la sanction du pouvoir législatif ; il s’empressa de la provoquer.

Le jour même où le président du conseil donnait son assentiment à la proposition du cabinet anglais, le 24 juillet, le ministre de la marine présentait à la chambre un projet de loi portant ouverture d’un nouveau crédit de 9 millions : « Les événemens dont l’Égypte est le théâtre, disait l’exposé des motifs, inspirent de sérieuses inquiétudes au sujet de la sécurité du canal de Suez… L’Angleterre nous a proposé de nous unir à elle en combinant les moyens d’action des deux marines pour le mettre à l’abri de toute atteinte… Adoptant ces propositions, le gouvernement a pensé qu’il conviendrait de mettre à la disposition de l’amiral, commandant la division navale du Levant, un corps de débarquement… de 8,000 hommes ; .. nous n’enverrions immédiatement que 4,000 hommes qui occuperaient un certain nombre de points dans la partie nord du canal

  1. Dépêche de M. de Freycinet au comte d’Aunay, 24 juillet.