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acquiescement, il adressa aux représentans de la reine, dans toutes les cours, les instructions que comportait une si ferme initiative. « Pour ne pas se séparer du cabinet de Londres, » M. de Freycinet donna des ordres similaires à nos agens diplomatiques,.le suivant dans cette voie nouvelle où il avait, naguère encore, obstinément refusé de s’engager.

C’est ainsi que le cabinet français, déviant de la politique qu’il avait suivie jusque-là en s’inspirant des précédens de notre diplomatie, consentit à aller à la conférence pour y proposer à l’Europe assemblée, de concert avec l’Angleterre, le concours armé de la Turquie. Il s’imposa ce sacrifice dans la pensée de maintenir l’accord des deux gouvernemens. Il ne sut ou il ne put cependant le préserver d’une atteinte irréparable. Quand le cabinet de Londres lui annonça son intention d’affirmer sa puissance devant Alexandrie, M. de Freycinet maîtrisé par l’impérieuse nécessité d’éviter un conflit avec la chambre, refusa de s’associer à cette démonstration, « parce que de tels actes ne peuvent, en vertu de la constitution, être accomplis sans l’autorisation préalable du parlement ; » et l’on vit notre escadre mettre à la voile et s’éloigner pendant que l’amiral Seymour ordonnait d’ouvrir le feu, non certes pour assurer le salut de ses vaisseaux qui ne couraient aucun danger sérieux, mais pour laver l’offense, faite en sa présence, au prestige de la Grande-Bretagne. Dès ce moment, la France et l’Angleterre étaient engagées diversement, et leur entente n’était même plus une fiction. Nous le verrons bien quand M. Duclerc succédera à M. de Freycinet.

Comment un homme d’État habile et avisé a-t-il pu s’égarer dans des voies si diverses ? Judicieux observateur des qualités et des faiblesses d’une assemblée, le président du conseil d’alors et d’aujourd’hui avait un sentiment exact et profond des exigences et des caprices de la chambre des députés ; mais il s’était formé, s’il nous permet de le dire, une conception erronée du régime parlementaire. Témoin de la chute de ses prédécesseurs, se souvenant de celle qu’il avait subie lui-même, pénétré des graves inconvéniens inhérens à ces fréquentes mutations, il crut en conjurer le retour, non dans des vues personnelles, mais dans le dessein de tout concilier, en constituant la représentation nationale juge préalable de toute résolution. Il lui déléguait ainsi une part des attributs du pouvoir qu’il détenait, sans dégager sa propre responsabilité, au détriment de l’autorité ministérielle et de la bonne gestion des affaires du pays. Nous l’avons vu, en effet, déclarant sans cesse et en toute occasion, ne se sentant jamais assez lié, qu’il n’engagerait ni la parole ni le drapeau de la France sans l’assentiment de ses représentans. C’était confondre la décision, apanage de la