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tourmentée par le besoin de sauvegarder ses droits, si peu solides cependant et depuis longtemps si peu respectés, de puissance suzeraine, a tenté d’entrer en négociations avec le gouvernement anglais : l’ambassadeur du sultan à Londres a renouvelé, au printemps dernier, ses démarches auprès de lord Salisbury, qui l’a, dit-on, remis à l’automne. Ne serait-il pas téméraire d’abuser indéfiniment de la faiblesse de la Porte et des circonstances qui mettent obstacle à une démarche collective des autres gouvernemens ? Que fera le nouveau cabinet si les whigs reprennent le pouvoir ? Se sou-viendra-t-il des déclarations de M. Gladstone et des engagemens que le gouvernement anglais a contractés pendant que cet homme d’État était le premier ministre de la reine ? Nous devons le croire pour ne pas lui faire injure. L’obligation est étroite, conventionnelle, indiscutable. Puissance anonyme et irresponsable, la presse peut n’en tenir aucun compte ; le gouvernement de l’Angleterre ne saurait la méconnaître sans faillir à l’honneur, sans renier sa parole et sa signature. C’est déjà trop qu’il s’attarde dans des atermoiemens qui autorisent toutes les conjectures et permettent de douter de ses intentions. Ne lui suffit-il pas d’occuper Aden et Périm à l’entrée de la Mer-Rouge, Malte et Chypre dans la Méditerranée, ces postes avancés qui lui permettent de surveiller, de tenir en quelque sorte, entre ses mains, l’accès du canal de Suez, de l’un et de l’autre côté ? Durant la seconde moitié de ce siècle, le droit public a souffert les plus graves offenses ; il a surgi des principes qui ont ébranlé l’autorité des traités ; l’uli possidetis est devenu une maxime avouable, une raison d’État que l’on a osé invoquer. La fierté de la Grande-Bretagne ne saurait s’accommoder de ces capitulations. L’Angleterre, a dit M. Gladstone, au parlement, n’a pas le projet d’occuper indéfiniment l’Egypte. « S’il est une chose que nous ne ferons pas, a-t-il ajouté, c’est bien celle-là ; nous nous mettrions en désaccord absolu avec les principes professés par le gouvernement de Sa Majesté, avec les promesses qu’il a faites à l’Europe, et, ajouterai-je, avec la manière de voir de l’Europe elle-même[1]. » Prenons acte de ces paroles ; elles ont retenti sous les voûtes de Westminster et le monde les a recueillies ; elles engagent le prestige et la loyauté du royaume-uni ; l’illustre old man ne saurait les oublier.


  1. Voir les dépêches du chargé d’affaires de France à Londres, le comte d’Aunay, des 31 juillet et 11 août 1882.