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les deux ailes de Canto fusillaient sur les flancs. Brisée par cette pluie de projectiles, la colonne faiblit, et les soldats de Balmaceda, rejetés en désordre sur la pente couverte de morts et de blessés, sont obligés de se replier en arrière et de se réfugier sous le canon des forts. Là ils se reforment, se renforcent de troupes fraîches, et une seconde fois abordent l’obstacle. Barboza et Alcerreza les précèdent, rivalisant d’audace, chacun cherchant à éclipser son rival. Un boulet emporte Barboza, Alcerreza prend le commandement ; pas un symptôme de défaillance ne se trahit dans les rangs des assaillans qui ont vu tomber l’un de leurs chefs ; ils avancent comme un mur que les boulets trouent, mais qui de lui-même se referme. Frappé à la tête, le général Alcerreza est emporté mourant. Alors seulement Canto donne l’ordre de charger que ses soldats attendaient avec impatience. Ils descendent comme une avalanche, brisant dans leur irrésistible élan la longue ligne de leurs adversaires. Mêlés, confondus avec eux, ils roulent ensemble jusque sous le feu des forts qui ne peuvent tirer sur l’ennemi sans atteindre les leurs. Balmaceda lance sa cavalerie : refoulée, elle aussi, et taillée en pièces. Vainement leurs officiers essaient de rallier les troupes de Balmaceda ; cette fois elles résistent à leurs appels, les contingens de réserve, composée des régimens de volontaires, se refusent à donner ; levant la crosse en l’air, ils se joignent aux bataillons victorieux de Canto. Ce n’est plus une déroute, c’est une indescriptible panique, une marée humaine qui s’engouffre dans Valparaiso.

La bataille avait duré cinq heures ; elle était irrémissiblement perdue, Valparaiso à la merci de Canto victorieux, Balmaceda abandonné de tous. Vicuna, qu’il avait désigné pour son successeur à la présidence, cherchait un refuge sur un navire allemand ; ses ministres, Godoy, Barrados, Espinosa, s’embarquaient pour Lima, et Viel, gouverneur de la ville, négociait, sous la protection de l’amiral américain, la reddition de la place et des forts au général Canto. Pour ceux qui se souvenaient des excès qui avaient ensanglanté Lima et le Callao à la suite de la bataille de Chorillos, qui avaient vu Lima, la capitale péruvienne, pillée et son port de guerre incendié, autant par les vaincus que par les vainqueurs, la situation était grave, et l’on redoutait pareil sort pour Valparaiso. Il n’en fut rien ; Canto sut maintenir la discipline la plus rigoureuse parmi ses troupes et, s’il exigea la reddition sans conditions de la ville, il s’opposa à toutes représailles et réprima les scènes de désordre dont les soldats débandés de Balmaceda étaient les fauteurs. Il désigna comme gouverneur de la ville Walker Martinez, ancien ministre du Chili en Bolivie, lequel n’avait pas quitté son