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servile des rouages parlementaires de l’Angleterre ne s’adapte mal aux exigences d’un, régime républicain et ne provoque, à certains momens, de ces conflits d’attributions que la force seule peut trancher. Il convient toutefois de rappeler, à la décharge des constituans de 1833, l’extraordinaire engouement dont étaient alors l’objet les institutions parlementaires anglaises. Les libéraux européens les proposaient à l’admiration du monde et en réclamaient l’application ; les républiques espagnoles, récemment émancipées, les copiaient et tant bien que mal les adaptaient à leurs constitutions républicaines. Ainsi fit le Chili. Le désaccord latent qui existait entre ses institutions quasi monarchiques et ses aspirations républicaines ne s’est révélé que lentement. Depuis trente ans il a pris corps. Depuis trente ans, la république oscille entre une oligarchie exclusive dans laquelle se recrutent les membres du congrès et les hauts fonctionnaires, et, d’autre part, l’autocratie d’un président investi de pouvoirs exorbitans. En cas de conflit, la tentation est grande, pour ce dernier, de chercher, comme le fit Balmaceda, un point d’appui dans les masses peu éclairées pour résister au congrès et, dans son successeur, un représentant de ses idées, un continuateur de sa politique. Force est bien de reconnaître qu’en mettant en avant Enrique Sanfuentes d’abord, Claudio Vicuna ensuite, qu’en imposant ce dernier aux électeurs, Balmaceda n’avait fait que se conformer aux déplorables erremens qui autorisaient tacitement le président en exercice à désigner son successeur et à soutenir de son influence officielle le candidat de son choix. Il n’avait fait que ce que Santa-Maria avait fait pour lui et, avant Santa-Maria, ses cinq prédécesseurs. Le mécanisme électoral était faussé irrémédiablement ; le pouvoir cessait d’émaner du libre suffrage des électeurs et, non plus qu’une oligarchie étroite, l’autocratie quinquennale d’un président n’offrait une base assez large pour asseoir les destinées d’une grande nation. Éclairés par l’expérience, les hommes d’État chiliens devront aviser aux moyens de conjurer ces dangers dont la république n’est sortie qu’au prix d’une lutte sanglante.

Cette lutte, dont nous venons de retracer les péripéties, a profondément modifié la situation du Chili. Un nouvel ordre de choses se dégage de la fumée des champs de bataille, des complications politiques et des négociations diplomatiques de ces dix dernières années. Une évolution qui date de l’extension territoriale du Chili a déterminé des tendances et des aspirations nouvelles. Longtemps vagues et confuses, elles se précisent et s’accentuent. Inféodé à l’Angleterre, dont la sympathie n’avait pas peu contribué à assurer son indépendance, dont il avait copié les institutions, tout en