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où l’autorité n’avait jamais rencontré de contradicteurs. Les actes des ministres étaient publiquement discutés et le prestige du khédive s’en trouvait visiblement atteint. La démonstration militaire qui avait contraint Nubar-Pacha à se démettre avait été facilement contenue ; il avait suffi à Ismaïl-Pacha de se montrer. Qu’il en ait été l’instigateur ou qu’il ait seulement, pour mieux déguiser ses desseins, toléré ces premiers désordres, il s’abstint de sévir contre les militaires qui en furent les fauteurs. Dans un autre temps, ils eussent expié sévèrement leur audace. Des exemples récens, présens à tous les esprits, ne laissaient de doute à personne qu’en méconnaissant la volonté du maître on s’exposait au dernier des châtimens. L’impunité, se joignant bientôt aux défaillances du nouveau khédive, porta ses fruits naturels : l’indiscipline et l’insubordination se propagèrent dans l’armée et se traduisirent par de turbulentes manifestations. Le 1er février, des officiers osèrent protester contre la nomination d’un colonel qui n’était pas leur complice ; on en arrêta quelques-uns ; ils furent aussitôt délivrés par leurs troupes et réintégrés dans leur commandement ; le ministre de la guerre dut donner sa démission. On poussa plus loin les concessions, on augmenta la solde des militaires de tout grade[1]. On institua, en outre, une commission à laquelle on remettait le soin de réviser, en les codifiant, les lois et règlemens militaires ; et nous voyons, à cette occasion, apparaître Arabi-Bey, qui en faisait partie et en fut bientôt le plus énergique inspirateur. Avec lui et sous son influence, surgissent successivement des motions et des exigences nouvelles ; la commission propose notamment d’augmenter l’effectif de l’armée et de construire de nouveaux forts pour la défense des côtes de la Méditerranée. Riaz-Pacha, le président du conseil, ne secondait pas, avec un zèle suffisant, les promoteurs de ces mesures. « A la demande expresse des colonels, écrivait, le 10 septembre, notre consul général, le khédive a dû signer immédiatement la nomination de Chérif-Pacha » au poste de premier ministre.

Ce succès leur suggéra la pensée et leur donna l’audace d’employer un autre expédient propre à donner à leurs prétentions les apparences de la légalité. Dans l’intention de s’opposer aux contrôleurs, Ismaïl-Pacha avait imaginé, peu de mois avant sa chute, de convoquer une assemblée de notables, voulant, disait-il, consulter le pays dans les graves circonstances qu’il traversait ; cette prétendue représentation nationale, choisie et non élue, ne fut sérieusement saisie d’aucun projet de loi, et elle avait cessé de se réunir, sans avoir été dissoute ni prorogée, quand les colonels

  1. Livre jaune 1881, Documens diplomatiques.