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exigèrent qu’on la rappelât pour lui soumettre le budget. Ce simulacre de régime parlementaire, qu’on voulait compléter en y ajoutant la responsabilité ministérielle, devint, entre les mains d’Arabi-Bey et de ses collègues, un puissant instrument dont ils se servirent pour tenir en échec Tewfik-Pacha et ses conseillers. « La commission, écrivait encore, le 23 juin, le gérant de notre consulat-général, a décidé l’augmentation de l’effectif de l’armée… Ce vœu, qui, dans l’état actuel des choses, est un ordre, a beaucoup ému les ministres,.. car on me dit que les officiers arabes et turcs sont décidés à faire exécuter les décisions de la commission. L’indiscipline, du reste, ne fait qu’augmenter dans l’armée. L’anarchie fait aussi de très rapides progrès chez le fellah. Il y a quelques années, l’autorité du mudir, dans les villages, était respectée, et personne ne se serait avisé de lui résister. Aujourd’hui il n’en est plus de même ; le mudir n’a plus d’action sur le fellah. » Et, le 14 septembre, le titulaire du poste ajoutait : « Pour le moment, le colonel Arabi dispose des troupes et d’une partie de la population ; .. l’autorité du khédive est sérieusement ébranlée ; ., les colons européens appréhendent les suites d’une occupation turque. Des désordres pourraient être provoqués par une occupation européenne. »

On voit quel trouble s’était emparé des esprits et quel désordre s’était répandu dans les choses depuis l’avènement de Tewfik-Pacha. Une année s’était à peine écoulée, et le pouvoir avait glissé, pouvons-nous dire, de ses mains entre celles d’un groupe d’ambitieux, rebelles et perturbateurs. Il était lui-même sans prestige et ses ministres sans considération. Les représentans étrangers voyaient des dangers partout : dans les exigences des officiers, dans l’attitude de la population, dans les intentions de la Porte, qui avait envoyé un commissaire au Caire, presque dans l’assistance éventuelle que les puissances pouvaient offrir au khédive. Il en était d’autres qu’ils dénonçaient également : Ismaïl-Pacha avait dressé sa tente au pied du Vésuve, en face de Castellamare, et de cette retraite enchanteresse il entretenait des relations avec des serviteurs qui lui étaient restés dévoués. Que leur recommandait-il ? Ce que l’on sait, c’est qu’il n’avait pas renoncé à tout espoir de ressaisir la couronne perdue. Dans ce dessein, il faisait, en pécheur repenti, des apparitions intermittentes, tantôt à Paris, tantôt à Londres, offrant humblement ses services pour aider à mettre fin à une situation qui inspirait déjà les plus vives alarmes. Les sollicitations n’eurent aucun succès. On n’était pas, peut-être, éloigné d’admettre, à Londres comme à Paris, que sa main toujours vigoureuse, quelquefois implacable, serait d’un bon secours pour mettre à leur place choses et hommes ; mais on ne pouvait se raviser, c’eût été reconnaître qu’on s’était étrangement mépris en exigeant